Toujours pas de déception à la cinquième saison de Better Call Saul, qui confirme après Breaking Bad la suprématie de Peter Gould et Vince Gilligan dans le domaine de la série TV contemporaine.
La cinquième – et avant-dernière – saison de Better Call Saul, le prequel de Breaking Bad, voit, comme on pouvait l’anticiper déjà lors de la précédente saison, la série se rapprocher de plus en plus de sa… destination, c’est-à-dire sa « série-mère ». Et si certains, dont nous sommes d’ailleurs, peuvent regretter la première partie de l’histoire de Saul Goodman, quand il était encore Jimmy McGill et qu’il luttait pour devenir un avocat de haut niveau en dépit des préjugés de son entourage, il est impossible de ne pas se sentir vraiment admiratifs devant l’habileté avec laquelle Gould et Gilligan ont fait évoluer et leurs personnages, et la fiction dans son ensemble, pour réussir cette « convergence » naturelle de leurs deux œuvres. Et s’il est probable que Breaking Bad restera dans l’esprit de la plupart des fans LA grande réussite du duo, il est bien difficile, en toute objectivité, d’affirmer que Better Call Saul lui est inférieure.
Car Better Call Saul est, d’abord, plus complexe que Breaking Bad dans sa construction, ce qui l’a certainement desservi auprès d’une partie du public avant tout avide de spectacle. Traitant en parallèle du travail quotidien du couple d’avocat Jimmy / Saul – Kim et de la rivalité meurtrière entre Gus Fring et Lalo Salamanca (avec ce pauvre Nacho Varga coincé au milieu…), et multipliant de ce fait les fictions, la série a été capable durant cinq saisons de faire un va-et-vient impeccable entre des scènes et des ambiances très différentes : d’un côté le monde ouaté mais peu ragoutant des avocats d’affaires – symbolisés par le séduisant et pourtant répugnant Howard, devenu objet de haine (et de vengeance) pour Jimmy –, d’un autre la violence « graphique », cruelle, frôlant l’absurdité, du cartel mexicain, le tout ayant permis à la série de se nourrir brillamment d’une multiplication de personnages et de situations, qui ont fait son charme.
Dans cette saison, la bifurcation des carrières professionnelles de Saul, puis, d’une manière plus inattendue, mais pas moins fascinante, de Kim (interprétée magistralement par une Rhea Seahorn qui s’est imposée durant les deux dernières saisons comme une brillante « sparring partner » de Bob Odenkirk), a confirmé peu à peu le versant « thriller » de Better Call Saul comme sujet central de la série… Ce qui nous vaut un épisode 8 (Bagman) absolument extraordinaire, qui rivalise à notre avis sans aucune difficulté avec les sommets de Breaking Bad. Devant un tel chef d’œuvre, comment ne pas avoir envie de célébrer une fois encore – mais on ne le dira jamais assez – les qualités exceptionnelles de sa narration, de sa construction de personnages, de son interprétation et, surtout, surtout, de sa mise en scène ? A équidistance d’un classicisme hollywoodien qui respecte la temporalité et la topographie autant que la logique interne de personnages jamais simplistes, et d’une modernité ludique dans la réinterprétation légèrement distanciée des situations traditionnelles du cinéma (que ce soit le « film de procès » ou le « thriller »), Gilligan fait preuve à nouveau de ce talent qui avait placé Breaking Bad au niveau du meilleur Cinéma contemporain.
La conclusion de la saison, violente, spectaculaire et tendue, en un ultime épisode mis en scène cette fois par Peter Gould, nous laisse sur un superbe cliffhanger qui est tout sauf manipulateur : puisque nous connaissons depuis le début le point d’arrivée de cette histoire, et que les personnages ont déjà fait une grande partie du trajet moral et psychologique « attendu », tout ce qui nous reste à découvrir dans la sixième et dernière saison est ce que sera leur dernière ligne droite… dont on redoute, et espère pourtant aussi, la tragique radicalité.
Eric Debarnot