On espérait beaucoup de ce nouveau projet Netflix espagnol, porté par un acteur à la mode et une jeune équipe ambitieuse… Il ne manquait qu’un scénario digne de ce nom…
Gageons que Marc Vigil, jeune réalisateur espagnol qui n’avait pour le moment travaillé que sur des séries télévisées – dont l’assez réputée Ministerio del Tiempo – a pensé son heure de gloire venue quand il s’est embarqué dans l’aventure le Silence du Marais, un film produit par la plateforme Netflix dont on sait l’appétence pour le jeune cinéma espagnol, un film dont le scénario cochait un certain de nombre de cases qui en faisaient un projet « dans l’air du temps » : dénonciation de la corruption des politiques (soit un phénomène grave en Espagne, même si peu commenté en France) et de leur collusion avec les mafias locales (ici gitanes…), « high concept » avec mélange entre réalité et fiction (celle créée par un auteur écrivant son nouveau roman en mélangeant sa vie personnelle, ses pulsions malsaines et des faits divers de la ville de Valence), et une bonne dose de violence très graphique. Et pourquoi pas ?
En ajoutant par là-dessus une louche de « ruminations poétiques (?) » sur les marais, les anguilles, les joncs, etc. censés symboliser la pourriture et l’instabilité sur lesquelles Valence est construite, pour faire « film d’auteur », et en optant pour un rythme réfléchi, en confiant enfin le premier rôle à Pedro Alonso, un acteur « à la mode » suite à sa participation assez remarquable à la Casa de Papel, qu’est-ce qui pouvait rater ? Eh bien, tout simplement le fait que les scénaristes, sans doute trop occupés à se congratuler pour leur créativité, ont oublié de raconter ici une histoire, et, du même coup, de créer des personnages qui nous donnent envie de les accompagner pendant une courte 1h30 au sein d’un labyrinthe qui s’avérera très rapidement un pur jeu de l’esprit sans conséquence.
https://www.youtube.com/watch?v=RV80VYe0lBQ
Alors oui, comme souvent avec les films (ou les séries) d’outre-Pyrénées, il y a une faconde des personnages, une vitalité du langage (ici, on ne peut que se réjouir de cette – trop superficielle – plongée dans le monde des gitans) qui nous occupera l’esprit pendant quelques scènes. Mais c’est loin d’être suffisant pour nous faire avaler la véritable débâcle que constitue le vide d’un scénario qui fasse le moindre sens : car nous ne saurions rien finalement sur les montages crapuleux des politiques ni sur le trafic des mafieux, nous n’apprendrons rien sur l’âme tourmentée (suicidaire ou criminelle, ce n’est pas clair…) de l’écrivain manipulateur, nous aurons simplement assisté à un défilement de scènes parfois spectaculaires, parfois joliment réalisées, mais toujours gratuites puisque ne participant à aucun « projet » digne de ce nom. Et du coup, cette fameuse violence qui éclabousse aura surtout le goût désagréable du sadisme et du voyeurisme décérébré, qui condamne définitivement le Silence du Marais à un oubli rapide. Et définitif.
Eric Debarnot