Comment poursuivre After Life, cette série sur l’impossibilité de continuer ? La réponse n’était pas évidente, mais Ricky Gervais trouve une solution intéressante, qui ne lui vaudra peut-être pas tous les suffrages de son public.
La conclusion de la première saison de After Life avait révolté pas mal de fans de Ricky Gervais, qui y abandonnait la verve corrosive et misanthrope caractérisant la série jusque-là, pour embrasser, toute honte bue, les mécanismes du « feel good » movie. Il y a fort à parier que les déçus de l’époque vont abhorrer cette seconde saison, qui voit Gervais noyer les quelques moments de cynisme et de noirceur subsistant çà et là – quasiment tous dus à des personnages « secondaires » ou aux fameux interviews d’habitants « extra-ordinaires » (c’est-à-dire dignes d’intérêt pour la gazette locale de Tambury où travaille Tony, notre veuf inconsolable) – dans un sirop de douceur, de gentillesse, d’humanité propre à provoquer une épidémie de caries dentaires chez les téléspectateurs !
Il faut d’ailleurs un certain temps à cette seconde saison pour démarrer : le premier épisode, peu emballant, sert surtout à prouver que Gervais, comme son personnage (« I feel.. Panicked, all the time. Like I am going to do the wrong thing, so… I don’t do anything« , explique d’ailleurs Tony…), ne sait pas encore bien que faire de son dernier « jouet » : va-t-il retourner franchement vers l’humour noir et la contemplation accablée de l’humanité qui nous ont tant fait rire (en faisant déclarer à Tony qu’il n’exercerait désormais son mépris et sa haine que sur « des personnes qui les méritent »…) ? Ou bien poursuivre l’exploration de ce retour à la vie qui se dessinait à la fin de la première saison ?
Le choix – finalement plus audacieux que les contempteurs de la série ne veulent l’admettre – sera de faire plonger Tony à nouveau dans le désespoir, et conférer à la quasi-totalité de la saison une tonalité hébétée : regarder en boucle les vidéos d’une vie de bonheur à jamais disparue devient pour Tony une sorte de vice pervers, et essayer d’être gentil envers son entourage ne va pas au-delà du pur mécanisme de défense, pas si différent finalement de l’agressivité systématique qu’il déployait encore il y a peu. Et à la fin de la saison, Tony découvre que la possibilité du suicide n’est plus un « super-pouvoir » comme il le croyait (feignait de le croire ?), mais bien une effroyable réalité.
https://www.youtube.com/watch?v=tyH0Q7llh_s
Bien sûr, on rira beaucoup moins devant cette seconde saison, mais on versera régulièrement notre petite larme en contemplant – aussi accablés, aussi effarés que Ricky Gervais – l’impossibilité fondamentale de continuer (« Life Goes On » ? Fumisterie !) quand la Vie nous a quittés. On se dira souvent qu’on tient finalement avec After Life une version plus « grand public », moins « hardcore » de Derek, le chef d’oeuvre de Gervais : moins brutale émotionnellement, cette nouvelle série repeint pourtant le monde de Derek de couleurs encore plus sombres… Jusqu’à cette « solution » – à la fois dérisoire et géniale – que formule peu à peu Tony : le monde dans lequel, à la limite, il peut encore vivre, c’est celui de Groundhog Day (Un Jour sans Fin). Un monde de répétition permanente, un monde où rien ne peut avoir de réelles conséquences, un monde de petits riens (ou de grands désastres…) d’où tout « sens de la vie » aurait disparu à jamais…
… Un monde dans lequel la dépression de Tony aspire ceux qui l’aiment. La porte qui se referme, dans le tout dernier plan de cette seconde saison de After Life, montre que le piège de Groundhog Day s’est refermé. S’il décide de continuer sur cette voie, il est bien possible que Ricky Gervais nous offre l’année prochaine une troisième saison littéralement terrible. Mais, avec ce diable d’homme, rien n’est jamais sûr, et c’est très bien comme ça !
Eric Debarnot