Débarquée sur le catalogue Netflix le mois dernier, sans tambour ni trompettes, la mini-série germano-américaine est devenu un succès considérable, avec la découverte d’un monde religieux archaïque détaché de la société actuelle.
En quatre épisodes, ce quasi-long film (et pas un film long…) décrit la destinée presque héroïque d’une jeune new-yorkaise qui fuit sa communauté hassadique ultra-orthodoxe dans laquelle elle se sent enfermée et piégée, pour rejoindre Berlin, y retrouver ses racines familiales, et par là-même découvrir un monde contemporain inédit et tâcher de s’y émanciper malgré tout. En quatre épisodes seulement, la série de Anna Winger et Alexandra Karolinski parvient à la fois à décrire de manière documentaire fascinante les us et coutumes de cette communauté recluse, mais aussi à conduire son sujet vers une série bouleversante, aux codes convenus mais franchement prenants et efficaces.
Nous suivons le parcours (tiré de faits réels, sur la base des mémoires de Deborah Feldman) d’Etsy, 19 ans, mariée de force pour reproduire les coutumes ancestrales de la communauté. Elle se démarque de ses camarades, par son caractère, sa volonté farouche de ne pas se plier constamment aux obligations (religieuses, sociétales) imposées par sa communauté extrêmement rigide et volontiers archaïque. Jusqu’à craquer et préparer sa fugue loin du continent américain, vers Berlin, où sa mère réside depuis des années.
La construction de cette fuite en avant se fait à coups d’allers-retours entre l’arrivée en « terre promise » allemande et les dernières années de la jeune fille, ce qui se traduit de manière intelligente par une vision documentaire du quotidien dans la communauté. A la manière dont Coppola filmait à distance sa Mafia sicilienne dans le Parrain ou Woody Allen qui serrait au plus près ses personnages vivant dans la Grande Pomme, la mise en scène offre de splendides scènes chorales ou très intimes sur des rites terribles, mais qui permettent de comprendre les raisons qui poussent l’héroïne à bouleverser sa vie, tout en bouleversant celles des autres (son mari, les proches…).
A ces moments précieux, s’oppose sa nouvelle vie dans une métropole européenne vivante, libre, et en même temps chargée d’Histoire. Le choix de Berlin est judicieux, prétexte à de nombreuses métaphores : outre le passé houleux d’une Allemagne avec son peuple juif, et ses lieux de mémoire de la Shoah qu’Etsy découvre pour la première fois de sa vie, s’ajoute le portrait d’une ville qui fut elle-même fragmentée, coupée en deux, tiraillée pendant plusieurs décennies entre un Ouest occidentalisé et un Est enclavé et restreint. Berlin, vrai protagoniste dans Unorthodox, est parfois montrée de manière trop carte postale, mais cela met en lumière les transformations récentes de la ville et de ses habitants.
https://youtu.be/A9I-ioAx0O0
La dernière partie de la série, par contre, essentiellement berlinoise, tend un peu trop vers la planche savonneuse de la romance pathos, forcément émouvante, mais qui ressemble beaucoup trop à nombre d’oeuvres où l’accomplissement de soi se fait de manière éclatante et presque tire-larmes. Un peu dommage quand on voit comment les deux premiers tiers de Unorthodox gardaient un point de vue assez distant et précis sur le cheminement existentiel de cette jeune adulte à décider de sa vie, de ses choix, et de son avenir de femme libre.
Pour cela, il fallait une actrice capable d’endosser un tel rôle : la jeune Shira Haas, 19 ans, mélange très cinématographique de Sinead O’Connor et Scarlett Johansson, y est tout simplement exceptionnelle. Non seulement elle porte toute la série sur ses frêles épaules, mais elle apporte, rien que dans son regard, toute la fragilité et la détermination de cette femme capable de tout, ce besoin de survie, mais qui passera forcément par tous les stades d’une émancipation sociale, religieuse, amoureuse fragile et douloureuse. Elle capte l’écran dès qu’elle y apparaît, et notre regard ne la lâche plus.
Rien que pour la découverte de ce talent, et pour la justesse et la force de cette série malgré ses petits défauts mainstream, découvrez Unorthodox si ce n’est déjà fait.
Jean-françois Lahorgue