Kael Smith alias Mute Forest signe avec Riderstorm un disque difficile à classer comme un chaînon manquant possible entre le David Sylvian de The Secret Of The Beehive et le meilleur de Gravenhurst. Un objet singulier et diablement attachant.
Ambient, folk, instrumental, country, il sera bien difficile de classer la musique et Riderstorm, le nouveau disque de l’américain Kael Smith et son projet Mute Forest. Sans doute pour mieux appréhender l’univers du monsieur, faudra-t-il trouver quelques clés dans une dimension géographique.
Faut-il trouver la raison de la présence d’une quiétude évidente dans les compositions de Mute Forest dans une volonté à vouloir s’isoler du monde et à prendre des distances avec cette société de l’immédiat et du tout de suite ? On n’est guère surpris d’apprendre que Kael Smith vit dans un coin reculé du Colorado, abrité au pied des Rocky Mountains. La musique de Mute Forest dit tant de l’espace, des grands paysages comme du tout petit détail.
Tout au long du disque, Kael Smith alterne jeu avec l’abstraction et le concret, il ne cesse de faire des allers-retours entre intime et immensité. Donnant la part belle à un folk expérimental qui évoque parfois Labradford, prenant la tangente vers des esquisses plus Pop que ne renierait Richard J Birkin, jouant des arpèges de guitare d’une voix blanche à la manière de Vini Reilly, Kael Smith nous échappe à chaque instant comme du sable qui glisse entre nos doigts. On pensera souvent à un David Sylvian enfin en paix avec ses deux obsessions, l’une plus expérimentale et l’autre plus pop, les deux enfin réconciliées.
Bien sûr, on pourra parler d’une filiation à une certaine scène, on le sent proche des préoccupations esthétiques d’un Peter Broderick, d’un David Allred, le Bark Psychosis de Hex (1994). Riderstorm est aussi un témoignage d’un drame vécu et d’un inévitable retour à la vie. La perte du père pour Kael Smith après des années de combat avec l’alcool, la lente reconstruction du fils comme une sortie imposée de l’enfance, un affranchissement des contraintes et de l’héritage paternel.
C’est sans doute dans ses parties les plus instrumentales que Mute Forest se dévoile le plus avec des partitions presque Jazz, ce Blue Chamber comme échappé de la dérive nocturne d’un Angelo Badalamenti. Le disque hésite entre douleur et douceur, une simple petite lettre suffit à changer un monde, à le perturber.
Riderstorm est un jeu permanent avec les éléments, le liquide, le solaire, le nuageux et le brumeux. De la chute d’un atome à la naissance d’une vague, du miroitement du soleil dans le courant d’une rivière au grondement du sol, Riderstorm ne dit rien mais dit tout.
Certains musiciens sont de grands théoriciens, d’autres de grands prêcheurs. Kael Smith, lui et son projet Mute Forest, sont plus des aquarellistes qui avec quelques traits pointillistes, font deviner des territoires sensibles, quelque chose que l’on ne peut plus appeler un paysage mais plus vraiment non plus un sentiment, peut-être un entre-deux étrange.
Un lieu nécessaire…
Greg Bod
Mute Forest – Riderstorm
Sortie le 03 avril 2020
Label : Lost Tribe Sound