Ça faisait un petit moment qu’on n’avait pas admiré un paramilitaire baraqué fracassant les os et explosant les crânes de centaines de « méchants », et, si l’on n’est pas trop regardants, on pourra trouver un plaisir pervers au spectacle régressif que nous propose l’équipe des Russo Bros. avec ce Tyler Rake, qui ne marque malheureusement aucune renaissance du genre du film d’action.
Il faut bien reconnaître que, depuis la grande époque des Schwarzenegger, Stallone puis Bruce Willis, le genre du film « d’action hero », avec personnages « sévèrement burnés » et, évidemment, action et violence à tous les étages, n’a plus connu de nouvel âge d’or. Les adeptes de la « théorie des auteurs » expliqueront sans doute que c’est parce que nous n’avons eu depuis lors aucun réalisateur du calibre d’un McTiernan par exemple – du côté hollywoodien – ou d’un John Woo sur le versant asiatique du gunfight furieux. Pourtant, pourtant, au-delà de la franchise largement débilitante des Fast & Furious, nombreux sont ceux qui continuent à essayer d’actualiser le genre. Dernier exemple dont on parle : ce Tyler Rake (en VO : Extraction) écrit par les frères Russo qui souhaitent visiblement se diversifier par rapport à leur univers de super-héros sans trop s’en éloigner, film produit et sorti par Netflix qui n’en rate décidément pas une !
Il s’avère que les Frères Russo avaient écrit ce scénario en 2014 pour un comic book dessiné par Arte Parks, Ciudad, et qu’ils ont confié la mise en scène de l’adaptation ciné de ce « graphic novel » ni plus ni moins qu’à Sam Hargrave, roi de la cascade et du baston viril dans les mêmes films de la maison Marvel : si l’on ajoute notre cher (?) Thor (Chris Hemsworth, très crédible d’ailleurs ici…), on voit qu’on reste ici entre potes, et qu’il est illusoire d’attendre de cette fine équipe quelque chose de plus ambitieux qu’un divertissement standard.
Sans surprise, Tyler Rake souffre d’un scénario convenu, déjà vu et revu 1000 fois, ce qui, avouons-le de bon gré, contribue au plaisir régressif du genre, toute réelle surprise qui risquerait de gâcher ce plaisir, étant à l’avance exclue. Typique de l’esprit du spectacle contemporain, « bigger is better », Tyler Rake se caractérise par un « body count » redoutablement élevé, battant les records historiques du polar hong-kongais de la grande époque… La guérilla urbaine s’apparente donc désormais à un « shoot’em all » utra-cool, même si l’on pourra quand même tiquer sur les clichés rétrogrades qui ont la vie dure : le héros qui sauvera la journée est bien blanc, tandis que les méchants restent tous impeccablement basanés. A noter, ce qui est une sorte de progrès (mais dans quelle direction, on ne sait pas trop…), qu’ici on massacre même les gosses, ce qui tranche quand même agréablement (??) avec les standards hollywoodiens.
Malheureusement, cette « fascinante » voie de l’excès superlatif n’est pas poursuivie outre mesure, puisqu’on nous infligera la seule (ouf) scène « d’émotion » pour nous rappeler que notre guerrier scandinave – pardon, australien, mate ! – a quand même un cœur, et qu’il est même profondément perturbé depuis qu’il n’a pas osé affronter la mort de son fils souffrant d’un cancer (flasback flou d’un enfant blond sur une plage, pour faire bonne mesure…). Il est difficile de verser une larme sur ces clichés, tout le monde ayant l’air de s’en contreficher (acteurs, réalisateur, scénaristes, on sent le besoin d’évacuer ce passage obligé pour revenir vite aux choses sérieuses)…
Finalement, la seule véritable originalité de ce qu’on pourrait appeler un exercice de style sans style ni exercice, c’est bien la localisation inhabituelle du film au Bangladesh, qui offre une ou deux scènes plus surprenantes, un ou deux plans un peu nouveaux, et justifie à la limite de perdre deux heures devant le film. A ces moments-là, comme par exemple devant le personnage pas banal du gamin criminel pressé d’embrasser une carrière mafieuse (sans doute le seul vrai personnage intéressant de Tyler Rake…), on se dit qu’il était possible de faire un bon film d’action en rajoutant un minimum de contexte qui lui aurait conféré une consistance qui lui fait ici cruellement défaut.
Bienveillants comme on est, on est toutefois très heureux pour la sublime Golshifteh Farahani, qui a pu enfin ajouter un rôle de tireur d’élite et de femme fatale pissant debout, à sa filmographie qui sentait bien trop l’intellectualisme élitiste.
Eric Debarnot