Après La Terre Invisible sortie l’année dernière sous son seul nom, David Chalmin revient avec Continuum, un Ep qui vient prolonger les méandres étranges de son univers.
Pour qui a l’habitude de regarder de manière obsessionnelle les arrières de pochettes de disque, le nom de David Chalmin n’est pas aux abonnés inconnus. On peut même dire désormais que le monsieur est connu au-delà de ses seules collaborations aussi prestigieuses soient elles. Les personnes avec qui le monsieur a travaillé ferait pâlir d’envie le plus désabusé d’entre nous, le plus houellebecquien d’entre nous, le plus cynique. Excusez du peu, David Chalmin co-compose aussi bien avec Matt Elliott, Thom Yorke, les frères Dessner ou encore les soeurs Labèque. Stéphane Grégoire, patron du label Ici D’ailleurs qui héberge ses disques solo, ne jure que par lui et il a bien raison.
On ne tombera pas pour autant dans cette facilité journalistique, dans ce gimmick ou dans ce cliché du David Chalmin collaborateur car que ce soient sur ses propres productions ou dans ses participations aux travaux d’autres artistes, il apporte avec lui son univers transversale comme faisant le lien entre les musiques savantes, concrètes et classique, rock et post-Rock. Prenez par exemple les derniers disques du britannique Matt Elliott dont le superbe Farewell To All We Know, assurément un des sommets de l’année 2020 pour voir que David Chalmin c’est aussi une patte immédiatement reconnaissable, un quelque chose, un mélange d’élégance, d’ouverture d’esprit et de jeu des nuances. Il y a chez David Chalmin un constant combat avec l’espace, avec le bruit et la dissonance. Une hésitation permanente entre chaos et murmure. Chez lui, on sent aussi un jeu des contraires, un écartèlement entre des envies d’électronique et des aspirations vers des voies plus apaisées.
Continuum c’est d’abord une grande pièce martiale idm, âpre et calculatrice comme du Squarepusher, déviante comme du Autechre, martelant les structures et cloisonnant les lieux, C’est mouvant et cyclique, ardu et clair, paradoxal et évident. David Chalmin dessine des paysages estompés, des squelettes sensibles, des amas osseux qui laissent transparaître parfois des flashs lumineux comme un mauvais trip qui ne s’arrêterait plus. A la limite de l’industriel, le français convoque le tellurique et l’aérien, la matière et l’absence de matière, l’immobilité et le mouvement.
La Forêt Des Ombres, l’autre pièce de l’Ep se décline en quatre mouvements où David Chalmin se réconcilie avec ses deux obsessions créatives, le rapport à la musique classique et à la dissonance. Cette Forêt Des Ombres et plus particulièrement sa première partie renvoient à coup sûr à la musique contemporaine et à György Ligeti, à certaines pièces pour orgue d’Arvo Pärt, comme un De Profundis qui ne dirait pas son nom. La musique de David Chalmin est fait de craquements, de ruptures, de minuscules imperfections, de détails imperceptibles qui ne parviennent qu’à la rendre plus humaine encore.
Pour autant, jamais son univers ne se fait hermétique, il déroutera souvent mais jamais il ne nous perdra. Construisant avec patience une dramaturgie et une dilatation des distances, David Chalmin ne cesse de perturber ses mélodies aériennes de jeux dissonants concentriques concrets. Prenez la partie 02 de La Forêt Des Ombres, observez bien cette réflexion des décors, cet échaufadage patient jusqu’à cette chute en points de suspension.
David Chalmin use de la surprise et de la rupture avec maestria. Souvent, le vent gronde, les cieux s’obscurcissent, la menace s’esquisse pour mieux se défosser, pour à la fois s’éloigner et ne jamais totalement nous quitter. La partie 03 de La Forêt Des Ombres est très climatique et atmosphérique, pas si éloignée dans ses humeurs de Jääportit, celles de Chris Watson (Cabaret Voltaire). Tout relève ici du viscéral, du répétitif (jusqu’à l’épuisement), du minimal, du bourdonnement mais aussi de la contemplation. La musique de David Chalmin n’est jamais monolithique et parce qu’elle est fuyante à notre conscience, elle n’en est que plus passionnante à l’image de cette partie 04 en conclusion
Un disque en perpétuel mouvement qui impose son temps, qui nous plonge malgré nous dans une immersion dans des territoires encores inconnus.
Greg Bod