Il serait peut-être temps d’offrir aux américains de Foreign Fields une reconnaissance méritée avec The Beauty Of Survival, leur superbe troisième disque qui se veut comme un havre de paix pour tous ceux que la tempête effraie.
Foreign Fields, je mets fort à parier que ce nom ne vous dit pas grand chose. Si les chemins choisis depuis deux albums par Justin Vernon avec Bon Iver vous ont dérouté, si Carrie And Lowell quitte peu votre platine, si les disques précieux de Sean Carey, le Blood Moon de Martin Craft sont comme autant de lois qui marquent votre quotidien, ce troisième disque des trop méconnus Foreign Fields devrait vous ravir comme les deux premiers chapitres de leur discographie chaleureuse comme un feu une nuit froide.
Il faudra d’abord évacuer ce piège dans lequel tombe souvent tout amateur de musique, vous savez, ce sentiment diffus de trop de facilité à entrer dans un disque qui le rend suspect, trop transparent pour être foncièrement honnête. Certains d’entre vous peut-être un peu hâtifs n’y verront qu’un tissu de références mal digérées. Ils seront trop hâtifs car ce qui prime dans le langage des natifs du Wisconsin, c’est le rapport à la douceur et la quiétude. Ce climat de suspicion, de fausseté en dit long sur une société qui ne sait plus apprécier à sa juste valeur la tranquillité d’un instant.
Alors bien sûr, on entend dans The Beauty Of Survival la présence de Sufjan Stevens, d’Elliott Smith mais plutôt que d’y voir un indice de paresse, ne pourrait-on pas parler finalement d’un international Pop sensible, un manifeste en mode « Musiciens de tous les pays, unissez-vous » autour d’une même cause. Un quelque chose qui aurait à voir avec le Folk, avec la Pop, avec le minimalisme, avec le lyrisme. Un International Pop qui courait de Low Roar à Cabane, de House Of Wolves à Gareth Dickson, de Will Samson à Ron Sexmith.
La pop de Foreign Fields est à la fois lunaire et solaire, diurne et nocturne. Brian Holl et Eric Hillman triturent une matière à la ligne claire qui ne cesse de se diluer. Il faudra entendre derrière cette aisance et cette proximité de façade la multitude d’indices que le duo laisse en suspens, en suspension serait-on en droit de dire.
Aux sceptiques de la première heure, aux handicapés du coeur, aux cyniques froids, Foreign Fields glisse quelques énigmes sibyllines, leur musique n’est jamais béate, elle n’est jamais non plus dans un désespoir convenu. Car la vie est plus complexe, les américains choisissent la voie du refus du manichéisme. Les spectres sont là, ils sont présents et apaisés dans nos vies, la tristesse n’est jamais loin mais elle n’occupe pas tout l’espace. The Beauty Of Survival est un disque du refus du renoncement, un guide de survie en territoire hostile. On sait que la fièvre est là, menaçante comme une épée de Damoclès droit au-dessus de nos yeux, on sait aussi qu’elle finira par nous lâcher. On garde dans le regard comme une trace indélébile du drame qui ne viendra pas.
Délaissant le folk des premiers disques, Foreign Fields s’ouvre à une plus grande variété des genres et irrigue sa musique de senteurs insoupçonnées à ce jour dans leur travail passé. Le climat de The Beauty Of Survival est volontiers changeant, la dimension bucolique que l’on sentait sur Anywhere But Where I Am, leur album inaugural de 2012 et ce joyau qu’est Names And Races et son travail sur les voix qui les rapprochait du folk américain des années 70, Crosby Still Nash And Young en tête, est ici délaissée pour des arrangements plus portés sur la partie purement orchestrale de l’ensemble. Se dégagent de ces titres une dimension à la fois cotonneuse et fébrile.
Là où à leurs débuts, on pouvait les rapprocher des travaux de Jonas Bonetta alias Evening Hymns ou encore de Jesse Marchant (JBM), Foreign Fields instille bien plus d’électronique dans sa Pop (Light On Your Face presque Trip Hop) sans pour autant jamais totalement oublier le Folk (Rose Colored). Ce que l’on ne peut retirer à ce disque, c’est qu’il est quasi toujours marqué par la grâce et cette beauté toute simple qui n’a pas besoin de briller. Un peu comme ces femmes à l’attraction immédiate, presqu’intimidantes. Ces visages imparfaits qui ne se cachent pas, ces silhouettes que l’on n’oublie plus, ces empreintes que l’on conserve dans les yeux.
Comme j’aimerai être à votre place, ami lecteur. Peut-être me permettras-tu de te parler à toi, seulement toi et d’instaurer une petite intimité entre nous ? Car sais-tu, écouter de la musique c’est aussi apprendre à écouter l’autre et s’écouter. Quelle chance as-tu cher lecteur de découvrir ces trois disques de Foreign Fields, compagnons nécessaires en ces temps incertains.
Tu ne connais sans doute pas l’univers immédiatement accueillant de Foreign Fields, cet abri alors que la tempête gagne du terrain. Ce vent vaincu par un souffle bien plus fort, celui de la vie qui palpite et qui parvient toujours à sortir victorieux.
Greg Bod