Retour d’un groupe trop méconnu, Man Man, avec un album merveilleux en forme de bric-à-brac tellement éloigné des canons du Rock contemporain qu’il en devient bluffant.
Man Man, le groupe de Ryan Kattner (qui se dissimule ici sous le masque de Honus Honus) n’est que très peu connu en France, et le fait qu’il soit resté silencieux pendant 7 ans ne l’a certes pas aidé à sortir de cet anonymat. Dream Hunting in the Valley of the In-Between, qui est donc le sixième album de Man Man, mais le premier depuis 2013, pourrait pourtant bien changer les choses… à condition que le non-conformisme soit encore une vertu reconnue à une époque où il semble surtout important d’être « dans le coup ».
La musique idéale, dans la tête de Ryan Kattner, pianiste et chanteur, c’est un joyeux foutoir où l’on retrouve des débris de jazz, de comédie musicale, de BO de films imaginaires, de rock’n’roll « beefheartien ». Pour ceux qui ont besoin de références, disons qu’on peut penser aussi bien à un Tom Waits plus pop (Goat) qu’à un Divine Comedy qui serait né outre-Atlantique, mais les plus pointus d’entre nous se souviendront peut-être de la musique théâtrale mais viscérale de Shoulders. L’album est composé de « vraies » chansons (dès la première écoute, Hunters est une merveille mélodique qui fixe immédiatement votre attention…), aussi bien que passages instrumentaux qui relèvent soit de l’expérimentation, soit de la construction d’une ambiance cinématographique envoûtante. Mais Dream Hunting parcourt également un large spectre d’atmosphères, de l’intimisme envoûtant d’Animal Attraction au rock’n’roll joyeux de Sheela, en passant par la cacophonie savamment orchestrée de Cloud Nein, et par l’opérette baroque de Powder My Wig, qui ne déparerait pas le Indiscreet de Sparks ou le Go To School des Lemon Twigs.
Après tout ça, ceux qui auront à cœur d’écouter les paroles d’un album tellement foisonnant et flamboyant musicalement qu’on peut très bien s’en passer – et c’est rare que nous l’admettions -, risquent d’halluciner : la rencontre satanique d’un prêtre en pleine activité sexuelle dans un motel est le sujet de The Prettiest Song in the World, tandis que le délicieux Inner Iggy, comme son titre l’indique, nous incite, sur des rythmes tropicaux, à chercher au plus profond de nous-même l’Iguane qui y sommeille depuis 70 ans.
C’est dire si tout cela est compliqué, bizarre, tortueux même, au point que cette énumération de fantaisies peu ordinaires risquerait de rebuter « l’auditeur moyen »… Pourtant, l’impression principale qui ressort de l’écoute de Dream Hunting, c’est une formidable jubilation, qui touche parfois au pur émerveillement devant des chansons aussi immédiatement accrocheuses (car comment résister à un Future Peg aussi ludique ?) qu’elles sont originales.
Surtout, ne vous refusez pas un tel plaisir ! Une telle chasse aux rêves, même dans une hypothétique vallée, il n’y a pas beaucoup d’artistes qui sauront vous la proposer.
Eric Debarnot