Ces temps d’isolement nous offrent ce luxe des minutes que l’on ne compte plus. The Unknown Movie du français Christophe Ménassier pourrait bien être la bande-son de ces instants où l’on apprend à reprendre soin de soi. Un disque à la fois onirique et absent aux soucis.
Il est toujours intéressant de voir comment un musicien se perçoit, quels fils il tisse avec d’autres artistes, d’autres musiciens. Christophe Ménassier cite à l’envie Robert Wyatt, Jon Brion, Pink Floyd, Max Richter ou Sigur Ros. Autant de références qui laissent présager de quelques indices ou de pistes que pourrait emprunter le musicien. Mais quelque part, une perception n’est toujours qu’un sentiment purement subjectif, un miroir déformant dans lequel on croit se reconnaître. Et si Christophe Ménassier se trompait ? Si sa musique n’était finalement que la sienne, à savoir la somme de ce qu’il a été, de ce qu’il est et de ce qu’il sera.
Car assurément, ce qui importe, ce qui est remarquable dans ses compositions, c’est ce rapport évident à l’élément percussif que l’on ressent aussi bien dans ses formes en piano solo comme dans les pièces les plus orchestrées.D’évidence son passé de batteur joue dans son appréhension de l’approche harmonique dans ce jeu avec les climats, les ruptures qui le rapprochent effectivement en cela de Jon Brion. Mais là où Christophe Ménassier apporte une touche qui n’appartient qu’à lui, c’est dans ce rapport, dans ce jeu dangereux et maîtrisé avec le kitsch, la mélodie qui s’égare un temps dans l’onirisme et le lyrisme pour mieux se recentrer sur elle-même. Les univers les plus attachants sont souvent ceux qui s’approchent des limites, qui n’hésitent pas à plonger dans un entre-deux. ce sont souvent des musiques qui ont compris que seule compte la sincérité, que peu importe le bon goût, le mauvais goût. Christophe Ménassier aborde avec une belle pudeur des rivages au lyrisme assumé et marqué comme sur Whatever Happens In The Dark qui ne dépareillerait pas chez Wim Mertens. On y croise le même romantisme, la même dimension ludique avec l’abstraction.
Et il y a chez lui aussi une relation à la Pop, une volonté à ne jamais rendre ses compositions hermétiques, à ne jamais dérouter son auditeur, à l’accompagner par la main d’une poigne ferme mais généreuse. On pensera parfois aux travaux de David Sylvian, à ceux du rennais Sylvain Texier (The Last Morning Soundtrack et surtout O Lake), à ceux de Thomas Mereur, la même fragilité qu’un Rémi Fay.
Bien sûr, on retrouvera dans le jeu de piano de Christophe Ménassier les grands maîtres, Philip Glass, Michael Nyman mais les paysages mentaux dans laquelle nous entraîne sa musique est plus fort que ces seules références. Sa musique absolument instrumentale tout au long des douze titres qui constituent The Unknown Movie n’est jamais vraiment muette, elle dit bien plus que ce que l’on croit y entendre de prime abord
.Elle n’hésite pas à se faire changeante comme sur le superbe Greatness and Madness Of Men, à la fois romantique, martiale et onirique avec des effluves presque technos. Sans trop se l’expliquer on pense parfois au Loney Dear période Dear John (2009) et plus particulièrement au titre Under The Silent Sea. Comme chez Emil Svanängen, la mélancolie chez Christophe Ménassier n’est pas un spectre limpide, une évanescence fade, au contraire, la mélancolie ici se joue des contraires. On y voit croître une énergie, une fébrilité presque naïve. C’est un peu comme si Rachmaninov rencontrait The Album Leaf.
Christophe Ménassier joue avec les atmosphères et les climats comme Clint Mansell ou Pieter Nooten, il construit une lente évaporation, une dilatation du temps. Il tente beaucoup sur The Unknown Movie, réussit toujours y compris dans les grandes ruptures de ton dont est accidenté le disque. On sent le long et minutieux travail qui pour autant ne transpire pas l’effort. Le travail d’une vie peut-être. Chaque seconde de ce disque est divinement calculée ou plutôt réfléchie, pesée à sa juste valeur. La musique de Christophe Ménassier pèse guère plus qu’une plume. Elle est tellurique, sensible comme un souffle qui enfle, comme un chant des terres que l’on n’écoute plus alors qu’on le devrait tant il a de choses à nous dire, de vieilles langues oubliées, des légendes qui expirent dans l’indifférence.
Le film est encore inconnu, les images sont floues, elles sont celles de Christophe Ménassier mais elles sont aussi un peu les nôtres, des particules de chair qui s’estompent pour former un grand tout indivisible, un trait d’union entre nous, un objet qui magnifie le quotidien.
Greg Bod
Christophe Ménassier – The Unknown Movie
Sortie le 10 avril 2020
Label : Autoproduction