[Ciné-classiques] Massacre à la tronçonneuse – Tobe Hooper

Coup de projecteur en trois axes sur Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, pour redécouvrir l’un des films morbides les plus fascinants, et aussi un percutant miroir d’une dégradation progressive de nos sociétés contemporaines.

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE photo
© VORTEX INC. / KIM HENKEL / TOBE HOOPER © 1974 VORTEX INC. DR

Biographie

Automne 1974, artisan d’une tempête de controverses et de vifs débats sur l’influence néfaste de son film, Tobe Hooper sorti de nulle part, marque définitivement l’histoire du cinéma avec le macabre : Massacre à la tronçonneuse. Une étoile filante pour éclairer le Mal infiltré au cœur d’ «une Amérique déconstruite par les soubresauts de son histoire» analyse le critique Jean-Baptiste Thoret. Ce coup de tonnerre restera artistiquement sans suite à la hauteur de l’impact provoqué par cette sarabande funeste. L’auteur retrouve partiellement le chemin du succès avec la fiction en forme de remake Massacre à la tronçonneuse 2 (1986) et le triomphe commercial avec Poltergeist en 1982, coécrit et produit par Steven Spielberg.  Cette production d’horreur fantastique à base de fantômes engendre des rumeurs concernant l’implication importante de Spielberg au sein même de la réalisation, le coproducteur met fin ces élucubrations en soulignant « La force créatrice du film était Steven. Tobe était le directeur et était tous les jours sur le plateau ». Ne déviant jamais du sillon horrifique l’auteur connaît un autres succès d’estime avec Le Crocodile et la mort (1977). Malgré le budget assez important l’apocalyptique Lifeforce (1985) lui occasionne un échec commercial patent.

MASSACRE À LA TRONÇONNEUSEDès 1979, l’auteur décline le même genre horrifique avec la mini-série télévisée Les vampires de Salem adapté du roman Salem de Stephen King publié en 1975. Tobe Hooper retrouve à cette occasion les plateaux de télévision. En effet en 1962, le jeune homme de 19 ans entre au département Radio-Télévision-Film à l’université du Texas avant de travailler comme caméraman pour la chaîne de télévision KLRN. Après quelques années d’enseignements universitaires en tant que professeur il réalise un premier long métrage expérimental Eggshells en 1969, film resté invisible pendant quarante ans. Les années 90 confirment son amour de la télévision, l’auteur réalise l’épisode La Perle noire dans la troisième saison (1991) de la série Les contes de la crypte puis s’associe avec le cinéaste John Carpenter en 1993 pour le téléfilm à sketches Petits cauchemars avant la nuit. En 2005 il participe à la série télévisée Les Maîtres de l’horreur avec l’épisode 3 La Danse des morts puis récidive la saison suivante avec le volet inaugural Les Forces obscures. Toutes ces productions diverses n’atteignent pas l’aura inaltérable de Massacre à la tronçonneuse, confirmant ainsi le statut de précoce attribué à cet auteur né le 25 janvier 1943 à Austin au cœur de l’Amérique profonde. Enfant de la caméra super 8 dont son génie vit le jour dès l’âge de trois ans alors qu’il monte son premier film en 8mm !! Tobe Hooper en avance sur son temps nous aura fait du Bien. Le 27 août 2017, la grande faucheuse s’empare définitivement de son âme.

Contexte

«Le moyen de sortir de cet endroit serait d’attraper une tronçonneuse» s’est mis à penser de façon virulente Tobe Hooper passablement excédé de ne pouvoir s’extraire d’une foule dense lors d’une journée shopping dans un centre commercial aux États-Unis. Lors du trajet retour chez lui l’intrigue de Massacre à la tronçonneuse voit le jour. Il se souvient également de l’histoire du serial-killer Ed Gein profanateur de tombes qui avait capturé des femmes et se servait de la peau et des os pour créer des objets décoratifs. L’auteur réuni un maigre budget, s’associe avec le producteur du célèbre porno Gorge Profonde (1972), le seul à vouloir tenter l’aventure. Le scénario est coécrit avec Tim Henckel rencontré lors du projet Eggshells. Un mois de tournage intense suffit. Le film indépendant sort aux États-Unis en octobre 1974 en pleins remous du Watergate et du retrait des forces américaines de l’enlisement de la guerre du Vietnam. Choc et succès commercial. En France, malgré le prix de la critique au Festival Fantastique d’Avoriaz en 1976, la commission de contrôle n’autorise la sortie du film qu’en 1982, avec une interdiction aux moins de 18 ans. La terreur peut enfin commencer.

Désir de voir

En dépit du remarquable Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock, on peut considérer à juste titre Massacre à la tronçonneuse comme l’une des œuvres séminales notable qui apporte un sous-genre de film d’horreur le «slasher». Ces productions montrent les meurtres d’un tueur psychopathe éliminant souvent ces victimes avec une arme blanche ou un outil contondant. Massacre à la tronçonneuse devient une influence majeure des plus grands réalisateurs du genre comme John Carpenter, Wes Craven et irrigue notamment l’inspiration de Jonathan Demme, John Boorman et Ted Kotcheff. Tobe Hooper en un seul film met l’Amérique en face de ses propres démons et renforce les maux de l’écrivain William Seward Burroughs : « L’Amérique n’est pas jeune : le pays était déjà vieux, sale et maudit avant l’arrivée des pionniers, avant même les indiens. La malédiction est là qui guette tout le temps » paru dans Le Festin nu en 1959. D’emblée un carton introductif annonce que le film s’inspire de faits réels, une convention devenant pérenne pour augmenter l’angoisse avant le début d’un film. Les premiers gros plans installent le malaise par le biais de photos de cadavres en lambeaux  avec un montage heurté, alternant de manière inhabituelle lumière et photographie boueuse. Un terrible reflet du pourrissement de l’Amérique renforcé par la première scène, où l’on déterre des cadavres d’un cimetière, comme un écho au passé génocidaire américain et au conflit vietnamien. «Le film est devenu une métaphore cinématographique de la conjoncture de l’époque». La pellicule de 16mm, le grain de la pellicule et la manière quasi documentaire de filmer confère d’emblée un profond sentiment de malaise. Structuré comme un conte de fée, la perte de l’innocence d’une bande d’ados va se refléter dans le visage du mal, crée par le personnage du charismatique Leatherface, homme assez costaud portant un masque de peau humaine et dérangé mentalement. Leatherface vit  dans une famille de ploucs cannibales attardés dont le frère aîné gère une station-service afin d’attirer de la chair fraîche humaine pour la tuer afin de la revendre comme simple viande à consommer. La réputation du pitch engendre un malentendu sur l’aspect gore du film. L’idée judicieuse du réalisateur est justement d’éviter le gore. Il installe longuement les personnages d’adolescents et ensuite suggère l’horreur par de nombreux hors champs, des décors effrayants emplis d’éléments morbides, une bande son dissonante et atonique (frottement de fourche sur du métal), des mouvements de caméra travelling et de très gros plans. Sans oublier le paradoxe audacieux de distiller de l’humour très noir (la surprenante course poursuite avec la tronçonneuse) venant se nicher au cœur du chaos et une dernière demi-heure où le climax atteint son paroxysme. La réussite du film se vérifie assurément dans des scènes éprouvantes tournées jusqu’à épuisement : comme la séquence démentielle du repas où l’hystérie des comédiens (tous épatants) semble véridique, tout comme les séquences de poursuites étonnamment fluides avec la caméra portée. Pour accentuer un peu plus l’effroi, le metteur en scène intègre comme jamais auparavant la force du son comme une révolution dans la montée de l’angoisse, en utilisant de vraies tronçonneuses pour saturer de bruits stridents l’image et amplifie également les cris suraigus de la jeune fille Sally tentant d’échapper au psychopathe. Le dernier son du film reste la tronçonneuse en marche qui ne s’arrête jamais. Une mise en abime effrayante dont Jean-Baptiste Thoret analyse comme «l’apologie de la régression comme seule issue possible à un monde au bord du gouffre». Un tranchant massacre viscéral et intemporel au cœur du Texas, devenu un objet cinématographique mondialement culte.

Sébastien Boully

Massacre à la tronçonneuse
Film américain réalisé par Tobe Hooper
Avec Marilyn Burns, Allen Danziger, Paul A. Partain
Genre : Épouvante / Horreur
Durée : 1h23
À voir en VOD sur : CANAL VOD / La Cintetek / ORANGE VOD / MYTF1 VOD

1 thoughts on “[Ciné-classiques] Massacre à la tronçonneuse – Tobe Hooper

  1. EXCELLENT!!! …Un grand souvenir, ce film, il m’a fallu plusieurs essais, avant de pouvoir le regarder en entier, avec des écarquilleurs de paupières…C’est le fait d’avoir entendu Philippe Rouyer en parler dans « Mauvais Genres », avec sa verve extraordinaire, qui m’a convaincue de le voir, sans faire du repassage en même temps!…. et dans la version DVD que j’ai vue, il y avait une version du film, commentée par Tobe Hooper lui-même et un autre compère: ils se sont marrés d’un bout à l’autre, en fait: ce qui m’a permis de le voir avec cette dimension comique! Et puis j’ai adoré la scène du banquet final: des convives comme on aimerait en trouver dans certaines réunions de famille, pour gérer l’animation!!!

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