Si vous aimez le suspense et rien que le suspense, Into the Night peut vous plaire. Si vous avez besoin de crédibilité pour adhérer à une histoire, vous devrez peut-être passer votre chemin.
En 1990, l’inestimable Stephen King publiait une « novella » (c’est-à-dire une longue nouvelle ou un court roman) intitulée The Langoliers, racontant la fuite en avant et en avion d’un groupe de personnages devant une menace mortelle et que rien ne saurait stopper. Les deux grandes qualités de ce petit travail moins connu de King était l’abstraction de la menace et la justesse psychologique du comportement des fuyards (l’une de ses forces, il est vrai…). A partir d’un thème plus que similaire, Jason George dirige un Into the Night – production Netflix belge – qui fait des choix opposés et va donc, inévitablement, droit dans le mur. Ou plutôt le crash landing.
Le pari fait par les scénaristes ici, c’est de reproduire les mécanismes de saturation narrative et sensorielle qui caractérisaient par exemple une série comme 24 Heures Chrono ( série célébrée et ultra-populaire à l’époque de l’apparition de la série TV « moderne », rappelons-le pour les plus jeunes !) : l’important n’était pas que ce qu’on raconte tienne debout, c’était qu’on le raconte assez vite pour que personne n’ait le temps de s’arrêter pour y réfléchir, et que l’effet de « suspense » soit quasi permanent, noyant dans une excitation frénétique l’intelligence du téléspectateur au profit de réflexes quasi-pavloviens (peur, surprise, horreur, excitation, etc.).
Et après tout, pourquoi pas ? Car la série contemporaine, peut-être dans un souci de reconnaissance artistique, joue trop souvent le jeu de la forme, de la pose, étirant invraisemblablement des scénarios qui ne le justifient pas au long de trop d’épisodes interminables. Ici, c’est l’inverse, 6 épisodes de 40 minutes qui auraient pu facilement, ailleurs, donner lieu à deux saisons de 10 épisodes d’une heure : c’est dire la vitesse ! Et bien sûr, cette accélération et de la narration, et de l’évolution des personnages se justifie parfaitement par rapport au thème d’une course éperdue pour la survie.
https://youtu.be/afgGXpb8NAo
Malheureusement, dans Into the Night, cette accumulation insensée de coups de théâtre, d’obstacles sur la route des fugitifs, de pépins imprévus qui font dérailler tous les plans, devient très rapidement grotesque, non seulement du fait de l’utilisation systématique d’invraisemblances « pratiques », mais surtout à cause d’une erreur capitale – et assez incompréhensible – dans la narration et dans la réalisation : le temps représenté à l’écran n’a tout simplement aucune relation avec le temps « vécu » par les personnages. Quand les protagonistes ont soi-disant 30 minutes pour faire un tas de choses matériellement impossibles, vues les distances ou vue la complexité de ces tâches, et qu’ils y arrivent systématiquement, avec en plus plein d’opportunités de se chamailler et de s’embrouiller entre eux, il est difficile au téléspectateur d’y croire un minimum. De la même manière, le long passage du temps dans ces vols transatlantiques interminables qui constituent quand même la principale occupation des passagers de l’avion est totalement escamoté, rendant incompréhensible la multiplication des conflits internes au groupe (qui serait pourtant explicables si le téléspectateur ressentait un minimum l’enfermement et l’angoisse des protagonistes).
Cette incessant enchaînement de conflits, de retournement d’alliances, n’est pas non plus aidé par une direction d’acteurs réellement négligente, aggravant la pauvreté de dialogues mal écrits : même une actrice qu’on a vu convaincante ailleurs comme Pauline Etienne a du mal à donner de la substance à un personnage pourtant potentiellement intéressant, alors il faut bien reconnaître qu’une grande partie du casting fait plus grincer les dents qu’autre chose.
Reste un point qui peut faire débat : l’explication « scientifique » de cette fin du monde « en marche », amusante mais finalement, au moins dans cette première saison, pas encore assez explicitée pour que l’on puisse la trouver vraiment intéressante : une bonne idée au départ, avec pas mal de potentielles répercussions symboliques, qui reste pour le moment sous-exploitée. On peut imaginer que ce sera le sujet de la seconde saison, puisque nos héros auront cette fois, apparemment, arrêté de courir. Par contre, il est peu probable que nous, nous soyons encore au rendez-vous pour cette seconde saison, même si le soleil ou bien un quelconque virus ne nous a pas encore dévorés…
Eric Debarnot