Avec Straight Songs Of Sorrow, Mark Lanegan tente de sauver son âme dans un exercice d’équilibre entre clarté et obscurité. Un aveu sur sa quête de la décadence, de dépravation, du tout et du rien.
L’écriture de sa biographie Sing Backwards and weep a du avoir un effet inattendu sur le trajet créatif de Mark Lanegan. Il y a, à cause de cela, un mélange sublime entre ses débuts faits de musique sensorielle et ses derniers travaux plus électrifiés, et au-delà de cet espace-temps, une envie pour lui de payer sa dette envers son âme avant qu’il ne soit trop tard. Mark Lanegan est un artiste dernièrement très productif, depuis Gargoyle en 2017, il publie disques sur disques et multiplie les apparitions en duo avec frénésie et succès, comme s’il voulait laisser une marque, l’empreinte avant le vide. Ou alors peut être s’implore-t-il un pardon ?
Comme dans les précédentes merveilles offertes par l’artiste, on retrouve les mêmes thèmes : la mort, la destruction, la mauvaise vie. Mark n’est pas un type à l’existence facile mais il chasse ses démons à coups de poésie sombre. L’homme à la voix d’asphalte et aux idées noires revient donc avec ce bouquet (funèbre) de chansons qu’il a intitulé Straight Songs Of Sorrow, et y a déposé l’intimité de ses aveux, son pardon et son vice. Chacune de ces chansons est, en fait, un clin d’œil aux personnages ou aux événements de chaque chapitre de ce récit autobiographique. Ces titres sont la chair de sa chair, pour autant, ils en ont le venin et la classe. Hanging on (for DRC), est clairement un remerciement à Dylan Carlson pour ne citer qu’un exemple.
Malgré l’opacité de son portrait, le disque reste pourtant lumineux. Petit tiroir ouvert a ses faiblesses et autres croyances, Mark Lanegan traverse des zones de tristesse sage et d’espoirs éphémères, sa voix suffit à dessiner les blessures, les instruments secondaires, presque transparents, supportent l’atmosphère de cette rédemption. On y retrouvera dès lors sa jeunesse artistique, des sons naturels et secs étiquetés rock, et, ça-et-là, des bribes de sa majorité créative avec ces synthés lugubres, dans un exercice biographique d’ultime pardon.
On y retrouvera aussi tous ceux qui ont croisé son chemin, non seulement Warren Ellis des Bad Seeds et Greg Dulli d’Afghan Whigs sur At Zero Below, mais aussi Mark Morton et sa guitare aussi acoustique que spirituelle sur l’intemporelle et sensible Apples From A Tree, l’apparition d’Ed Harcourt, d’Adrian Utley, la basse de Jack Bates (fils d’un certain Peter Hook) sans oublier l’impactante présence de John Paul Jones sur Ballad Of A Dying Rover. Un indice qui aide à définir l’éclectisme dans le trajet de l’artiste.
Beaucoup de noms, certes, mais la plupart du travail provient de l’intérieur de Mark Lanegan, travail dans la solitude qui l’habite et qu’il habite, toute l’introspection reste une histoire intime, certes lugubre, à la manière d’un Johnny Cash s’éteignant au dernier souffle de sa cover de Hurt. Johnny Cash, lui aussi flotte sur ce disque, dans ce magnifique hymne, summum du disque qu’est Skeleton Key, sa propre Redemption Song comme il l’annonce.
Straight Songs Of Sorrow est donc la culmination de son créateur, la pièce de musée par excellence de son travail et c’est là une réussite merveilleuse, un objet de prière et de misère d’où l’on discerne les lueurs, la beauté pure, sans grandes pompes, sans effets spéciaux, honnête, démaquillé, et comme il le précise un peu plus réel.
Guillaume Mazel