Ayant franchi le cap de la quarantaine, Daniel Blancou transforme son spleen d’auteur de BD en mal de reconnaissance en un petit bijou d’autodérision, doublé d’une exploration facétieuse des coulisses du neuvième art.
Après avoir végété dans la bande dessinée depuis des années, Daniel va faire une rencontre qui va bouleverser sa vie, celle d’un jeune artiste surdoué mais un peu naïf et inconscient de son talent. Daniel, lassé de galérer financièrement en attendant d’hypothétiques propositions des éditeurs, frustré des piètres ventes et de ne jamais voir arriver la reconnaissance, va tenter le tout pour le tout : le plagiat ! Une décision qu’il pourrait vite regretter…
Pour beaucoup, le monde de la bande dessinée se réduit à un monde de bisounours et de petits mickeys, où les auteurs seraient restés de grands enfants, et, n’ayant pas grand-chose à dire, préfèrent s’exprimer avec leurs « crobards ». Fin du cliché. Car en vérité, la réalité n’est pas si rose, et le secteur s’avère une jungle où seuls les meilleurs, les plus chanceux peut-être ou encore les plus malins, c’est-à-dire très peu, survivent. Tous les autres, dans leur grande majorité, connaîtront des fins de mois difficiles et ne poursuivront leur métier que si la passion demeure suffisamment forte à travers les années.
Entre autobiographie et fiction, Daniel Blancou s’est inspiré — très vraisemblablement — de sa propre expérience pour nous livrer cette comédie jubilatoire. L’auteur, qui n’en est pas à ses débuts — il a déjà à son actif six ouvrages — est un bédéaste multi-facettes, aussi à l’aise au pinceau qu’au stylo. Dans le cas présent, cet album fait presque office de carnet intime. Blancou, qui est donc (un peu) Daniel, le protagoniste central, prof de dessin par nécessité, pratique une forme d’autodérision assez poussée (désespérée ?), ne se contentant pas de se mettre dans la peau d’un loser, mais également d’un mythomane utilisant à son profit le talent d’un jeune homme un peu dépressif et couvé par sa mère. Daniel prendra sous son aile le jeune élève brillant et très prometteur, génie naïf qui s’ignore, avant de « subtiliser » ses planches dans le but de propulser sa carrière. Et l’effet comique fonctionne à plein, du seul fait que notre vilain menteur, exultant d’autosatisfaction dans un premier temps, finira par ne plus assumer pas ce succès soudain. Succès qui culminera au festival d’Angoulême avec une razzia sans précédent sur les récompenses — quatre, dont le très convoité prix du meilleur album. Avec un humour subtil que n’aurait pas renié Woody Allen, la narration tourne autour de notre héros en proie à la culpabilité et au doute, terrifié par la pression engendrée par cette notoriété inopinée. Comment réagir face à son éditeur qui le harcèle pour donner une suite à son magnifique plagiat encensé à l’unanimité ? Que répondre aux journalistes qui le comparent à un papillon après des années à n’avoir été que chenille ? Quoi de pire que d’être attendu au tournant par la meute des critiques ? Faire une suite, vraiment, au risque d’être démasqué ? Préférant minimiser son talent, Daniel répète à qui veut l’entendre qu’il n’a qu’une idée en tête : faire « des BD rigolotes », un des gimmicks bien sentis de cet album « désespérément hilarant ».
Le trait minimaliste, dans sa ligne claire délicieusement enfantine, révèle parallèlement un côté très graphique, parfois très poussé, et qui, chose rare pour une BD humoristique, se laisse volontiers admirer. Comme par exemple ces quelques scènes urbaines dans un style quasi art déco — une rue de nuit bordée par un vieux cinéma Vox, un tramway sous la pluie — ou, plus abstraites, comme ce labyrinthe pleine page symbolisant la confusion mentale de Daniel. Le tout dans des couleurs primaires acidulées à l’agencement étudié, vaguement « vintage », que renforce la très plaisante reliure à dos toilé — avec cette odeur si particulière, presque grisante, que jamais la BD sur tablette ne pourra nous offrir —, de la belle ouvrage à laquelle nous a souvent habitués l’éditeur Sarbacane.
Nombre de dessinateurs se reconnaîtront sans doute dans ce témoignage décrivant et questionnant avec espièglerie et tendresse les coulisses d’un métier qu’on ne choisit jamais par appât du gain, il faudrait pour cela être totalement inconscient. L’appât de gain viendrait plutôt des éditeurs, qui semblent, comme il l’est décrit avec une ironie désabusée dans plusieurs passages, montrer peu d’empathie à leur endroit, les considérant pour ainsi dire comme des esclaves à leur service. Cette « BD rigolote », faussement joyeuse, est une réussite, révélant un auteur attachant qui n’est certainement pas « en trop ». La bibliographie de Daniel Blancou ressemble beaucoup à son auteur, dilemme vivant, capable de passer du genre documentaire (environnemental, politico-judiciaire) à l’humour décalé. Mais désormais, avec Un auteur de BD en trop, notre quadra candide nous livre une sorte de synthèse des deux, dans un style clairement plus affirmé qu’à ses débuts. Blancou aurait-il trouvé sa voie ? On a évidemment très envie de le croire !
Laurent Proudhon
Un auteur de BD en trop
Scénario & dessin : Daniel Blancou
Editeur : Sarbacane
86 pages – 22,50 €
Parution : 8 janvier 2020
Un auteur de BD en trop — Extrait :