L’ambassadeur timide de l’Amérique intime revient avec son groupe, exprimer les maux de l’époque. Quelques respirations et apnées entre folk et americana, une guirlande sonore d’hommages cachés.
Il est de retour, bien que timidement, Jason Isbell fête ses 40 ans en retrouvant son groupe, The 400 Unit et en délaissant un instant Drive by Trucker et sa fougue rockeuse. Un disque intime, profond et blessé. Il retrouve aussi son producteur fétiche David Cobb qui propose ce son planant et pénétrant, éloignant ce disque d’une sonorité country trop facile.
Entré peu à peu dans la politique, préoccupé par l’état du Monde, Jason entame son petit débat interne avec sérénité. Notre chanteur compositeur de Lauderdale semble vouloir refaire vivre Guthrie dans le Nebraska de Springsteen, en évitant quand même de tomber dans l’épaisseur de la copie et dans la naïveté d’une musique country qui se voudrait dure. Le premier extrait, Be afraid, est de ces hymnes qui transpirent les malaises et les forces. Un ouverture à lever les poings dans des concerts surpeuplés, à soulever les cœurs de tout un pays, mélodie parfaite, rage contrôlée, un parfait exemple d’intelligence de composition.
Bien sûr, on peut penser au boss quand le titre river sonne, mais c’est plus dans l’attitude d’un Pete Seeger qu’on le savoure, un Kenny Rogers (Un adieu) qui aurait du nerf et un tas de problèmes économiques ou existentiels. Les clichés Country s’effacent dans un titre tel que Running with our eyes closed, riche en sonorités mélangées, où de vieilles références (Mark Knopfler ou Tom Petty) se confrontent pour mieux se réconcilier entre soli de guitares et songwriting .
Reunions ressemble en bien des points à une réflexion autobiographique, à un retour sur soi, à un bilan de vie où Jason Isbell raconte son histoire personnelle à coups d’influences assumées. Un hommage à tous ceux qui ont marqué le chemin suivi, une réunion de vieux amis devant un feu de camp. Écouter St Peters autograph en est un solide exemple. Chaque titre proposé a une influence différente, un père, un tuteur, un maître, d’où l’éclectisme sonore que l’on découvre dans le style calme du monsieur.
Bien que ce soit plutôt les ballades, les paroles terriennes et humaines qui président ce disque, ce n’est pas là un travail de lenteur et d’ennui. La dose est calculée parfaitement, et chaque titre est interprété comme une histoire à part entière, un disque patchwork fait de clairs-obscurs. Jason Isbell n’est sans doute pas le gai-luron du siècle, mais son nouveau travail, le huitième en solo, atteint dans sa profondeur le magnifique cadeau qu’était Here we rest sorti en 2011. Intime et dense, simple d’humanité, il s’habille de mélodies acoustiques faciles à aimer, où la voix quasi paternelle de Jason Isbell narre les déboires de nos vies, d’une poésie aux accents de pierre et de glaise, histoires d’Amérique profonde, sur fond de folk obscur.
Guillaume Mazel