Coup de projecteur en trois axes sur Close-Up de Abbas Kiarostami, pour redécouvrir ce formidable plaidoyer humaniste sur la justice, et l’un des témoignages les plus vibrants sur le pouvoir réel ou imaginaire du cinéma.
Biographie :
Sous le ciel de Paris, ce 4 juillet 2016, Abbas Kiarostami ferme définitivement ses yeux derrière ses fameuses lunettes noires, terrassé par un mauvais signe zodiacal. «Il fait partie de ces très rares cinéastes où il y a eu un avant et un après pour le cinéma», témoigne le lendemain Frederic Bonnaud, directeur de la Cinémathèque française. Artiste complet (dessinateur, photographe, peintre…), né le 22 juin 1940 à Téhéran (Iran), Abbas Kiarostami s’affranchit vite du cocon familial aisé. Attiré par le dessin et la peinture, il finance lui-même ses études à la faculté des Beaux-arts dont il sort diplômé en peinture et conception graphique, puis se fait engager par la société Tabi Film où il crée plus des affiches et des spots publicitaires, avant de s’orienter vers l’illustration de livres pour enfants et les génériques de films. «Ce sont les clips publicitaires et l’art graphique qui m’ont appris le cinéma», confesse-t-il. En 1969, il fonde avec son ami réalisateur Ebrahim Forouzesh le «Kanun», département cinéma au sein de l’institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes à Téhéran. Au sein de cette structure il tourne, en 1970, un court-métrage néoréaliste sur l’enfance : Le Pain et la rue. Sous le règne du Chah, le cinéaste affirme son style et ses thèmes politiques, principalement libertaires. En 1974, il réalise son premier long métrage, Le Passager, et d’autres films courts. En 1979, la révolution iranienne transforme le pays en république islamiste. Contrairement à nombre de ses collègues, l’artiste reste dans son pays. «Afin d’être universel, vous devez être enracinés dans votre propre culture», confesse-t-il. En 1987, « Où est la maison de mon ami ? » sort le cinéaste de l’ombre. La renommée internationale intervient avec Close-Up (1990), puis Et la vie continue (1992). Il obtient le succès public avec Au travers les oliviers (1994), et la consécration en 1997 via l’émouvant Le goût de la cerise, Palme d’or à Cannes. Il tourne ensuite Le vent nous emportera en 1999, Grand Prix du jury à la Mostra de Venise, puis dirige Ten (2002), Five (2003), et son dernier projet en Iran, Shirin (2008), filmé en hors champ sur le visage des spectateurs. L’exil contraint commence cinématographiquement avec Copie Conforme (2010), permettant à Juliette Binoche de recevoir le Prix d’interprétation féminie lors du Festival de Cannes, et se termine à travers Like someone in love, en 2012.
Contexte :
En lisant l’hebdomadaire Sorush en automne 1989, le cinéaste tombe sur une histoire d’imposture. Cet article, signé par le journaliste Farazmand, le fascine tellement qu’il décide d’en extraire un pitch mêlant reportage et fiction. Close-Up est là ! Abbas Kiarostami obtient l’accord de tous les protagonistes de l’affaire pour diriger avec eux son «docu-fiction» et filmer le procès. Le film, projeté en 1991, déclenche l’engouement des cinéastes Martin Scorsese, Nanni Moretti, Werner Herzog, Quentin Tarantino et Jean-Luc Godard et de la critique cinéphile mondiale…
Désir de voir :
«La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde…» analyse Jean-Luc Godard. Fin des années 80, un fait divers avec en toile de fond le cinéma engendre un chef-d’œuvre insaisissable, bouleverse la frontière entre vérité et mensonge. Le cinéaste découvre qu’un homme au chômage (Hossein Sabzian), féru de cinéma, s’approprie l’identité d’un metteur en scène populaire, en l’occurrence Moshen Makhmalbaf, pour subtiliser de l’argent à une famille bourgeoise de Téhéran, avec la promesse de réaliser son prochain film dans leur maison et de les faire tourner. La famille soupçonne l’imposteur et appelle la police. L’usurpateur est arrêté. Le metteur en cène s réunit précipitamment une équipe de tournage et décide qu’il «fallait tourner sur le vif sinon ce serait trop tard. Je suis allé chercher mon équipe et je l’ai emmené à la prison…». A l’aide d’une caméra cachée, il interroge l’escroc. Cette séquence incluse dans le film n’apparaît pas au début car l’ambition du cinéaste n’est pas seulement documentaire. Obtenant de la part de tous les protagonistes de l’histoire qu’ils rejouent les scènes comme elles se sont déroulées, il fait bouger les lignes de son projet en instaurant un dispositif vertigineux, une mise en abyme inédite où la fiction devient réelle par le biais d’une reconstitution. D’emblée, le récit apparaît sous une forme totalement éclatée : les flashbacks et les reconstitutions servent de support à la fiction. Le film fonctionne par séquences durant lesquelles le réalisateur utilise plusieurs focales, notamment pour le fameux «close up» (gros plan) lors des longues scènes du procès ou des entretiens avec l’escroc. Son but : dénicher une vérité psychologique enfouie. Chaque séquence d’investigation possède ses éléments techniques – bandes d’enregistrements, téléobjectif, micros HF usés, camionnette….La mise en scène déploie régulièrement de longs plans fixes, du hors-champ, des images dégradées, et n’empêche pas l’apparition d’un clap ou de perches son, afin de distiller constamment le doute entre documentaire et fiction. Ce manifeste cinématographique profite également de ce fait divers pour mettre en perspective la société iranienne, la censure, le manque de liberté, le droit au rêve et la place de l’art. Car, au fond, le malfrat s’avère être un homme en souffrance, qui s’imagine moins insignifiant s’il était cinéaste. Cette œuvre magistrale emplie d’inventions formelles et de poésie est l’un des hommages les plus puissants sur le pouvoir du cinéma, mais aussi une remarquable méditation sur l’art et la bonté de l’homme. «De tous mes films, c’est le seul que j’aime vraiment», avoue l’artiste. Il influencera Taxi Téhéran (2015), de Jafar Panahi. Cet ovni bouscule également profondément les mœurs en engendrant ainsi l’émancipation de femmes à devenir cinéastes. Depuis des films comme A Girl walks home alone at night (2014) de Ana Lily Amirpour ou encore Nahid (2015) de Ida Panahandeh prouvent cet élan. Depuis Close-Up, la planète cinématographique, ne tourne assurément plus comme avant…
Sébastien Boully
CLOSE-UP
Film iranien réalisé par Abbas Kiarostami
Avec Hossain Sabzian, Mohsen Makhmalbaf, Abolfazl Ahankhah
Genre: Drame / Documentaire
Durée : 1h34m
À voir en VOD sur : La Cinetek
À voir en Blu-ray / DVD (Elysée Editions)
Pour moi, c’est un 5/5, l’un des 10 films « modernes » les plus importants du siècle dernier. Merci pour cette chronique !
Merci Eric pour ce commentaire enthousiaste qui me touche particulièrement.
Une farouche envie de le revoir! et ce sera ce soir… Merci pour cette très belle synthèse
Merci Martine pour ce commentaire bienveillant, le but étant de donner un « désir de voir » (ou de revoir), je suis heureux de cette réponse.
Revu avec grand plaisir! Merci pour ce rappel essentiel dans l’histoire du cinéma…
et j’y ai apprécié aussi, l’explication (marxiste) de la délinquance par les causes économiques!