Quand Seven rencontre Les Mystérieuses Cités d’or, cela donne Le Serpent et la Lance. Le premier tome fascinant d’une trilogie ambitieuse et maîtrisée se déroulant dans l’Amérique précolombienne.
Empire aztèque*, 1454. Alors qu’une terrible famine fait rage, des momies de fillettes assassinées sont retrouvées aux quatre coins du pays. Les autorités, ne souhaitant pas ébruiter l’affaire, confient l’enquête à Serpent, haut fonctionnaire cruel né difforme et sans bras. Un prêtre influent, Cozatl, dont l’ordre est menacé par une série d’indices, appelle à l’aide son vieil ami Œil-Lance. Curieusement, les trois protagonistes sont liés par un passé commun : ils furent tous les élèves du grand maître Ombre-Montagne…
Difficile de ne pas être impressionné par cette œuvre consistante, qui n’est d’ailleurs que le premier tome d’une trilogie à venir. S’il faut tout de même quelques pages pour rentrer dans l’histoire, après un prélude très mystérieux montrant trois naissances dans un contexte de sacrifices humains destinés à vaincre la famine affectant l’Empire aztèque*, les éléments disparates de ce puzzle introductif vont se recouper assez vite. Il faut dire que la narration est assez complexe, avec nombre de personnages et de lieux aux noms imprononçables. Mais à l’évidence, le lecteur est vite happé par cette intrigue qui fascine d’autant plus qu’elle se déroule dans un contexte temporel et géographique peu connu, puisqu’il se situe quelque cinquante années avant l’arrivée des conquistadors. Par la suite on le sait, la culture et le peuple aztèques seront anéantis par une funeste conjonction des épidémies et de la puissance de feu de l’envahisseur espagnol.
Hub, qui se dit fasciné depuis l’enfance par cette civilisation, a très logiquement maîtrisé son sujet. C’est ainsi que l’auteur de Okko s’est lancé dans une reconstitution très poussée — avec moult termes en langue aztèque — de cet empire jadis florissant pour déployer une approche tout à fait atypique : mêler la vérité historique sur une civilisation éloignée dans le temps et peu familière pour l’Occidental moyen, à un genre narratif on ne peut plus actuel et très populaire : le thriller. Un parti pris susceptible de choquer les puristes mais qui fonctionne parfaitement, du fait peut-être qu’à l’évidence, un thriller ne peut que s’accommoder de cette culture qui parfois pratiquait, dans le but de satisfaire les dieux, des sacrifices humains sanglants à une cadence dantesque… Bien sûr, le talent de Hub y est pour beaucoup, et il en fallait pour rendre lisible cette intrigue aux multiples intrications.
Et bien évidemment, son talent ne s’arrête pas à la narration, puisque d’un point de vue graphique, on ne peut être qu’époustouflé par son trait riche et nerveux, précis et expressif, qui redonne un sacré coup de jeune au style franco-belge. Du grand art. L’atmosphère lourde et tendue est renforcée par la colorisation à la fois chatoyante et sombre de Li, laquelle correspond bien à cet univers vivant chargé de violence volcanique. D’ailleurs, et ce sera l’un des rares bémols dans cette chronique, certaines planches apparaissent exagérément foncées sans que l’on sache si c’est vraiment voulu ou s’il s’agit d’un défaut de l’impression, rendant la lecture parfois difficile.
Alors bien sûr, le lecteur, séduit par ce premier volet introductif qui globalement ne fait que poser les bases d’un récit haut en couleurs, attendra avec impatience la suite de la trilogie pour se prononcer définitivement. Mais cet acte 1 laisse augurer du meilleur pour une œuvre très ambitieuse, pas encore tout à fait culte mais promise à un beau succès.
Laurent Proudhon