Quand nous vous répétons que le Rock Français n’a plus rien à envier à ses homologues britanniques et américains, il va falloir maintenant ajouter à cette affirmation que, en matière de pop classique, non plus, nous ne craignons personne : nous avons Extraa !
Mais cette intro décalquée sur Strawberry Field Forever, c’est quand même un sacré coup de poker, non ? ça s’appelle du culot, du vrai, et ça devrait normalement se retourner rapidement contre ces petits malins qui viennent se mesurer sans honte aux Beatles éternels, alors au sommet de leur art en plus. Et surprise, surprise, A Flower and a Man, la chanson d’ouverture de Baked, le premier album de Extraa, trouve son propre chemin : une mélodie impeccable, et la voix féminine délicieusement froissée d’Alix Lachiver font le travail, nous voilà séduits, et embarqués…
… et l’enchaînement sur le soyeux Anymore confirme la bonne impression : Extraa est un groupe qui en a sous la pédale au niveau des compositions, et qui, de plus, fait preuve d’un bon goût rare. Le choix, quasiment extrémiste, parfois, de sonorités directement extraites des années 70, et la production sophistiquée et précieuse d’Alexis Fugain (de Biche) ne sonnent heureusement ni datées ni rétros, ce qui serait insupportable. Turn on the Lights, avec son piano kinksien et ses chœurs pop psyché enfonce doucement le clou : oui, entre la démarche à la fois respectueuse et révisionniste de Temples et l’amour ironique du kitsch psyché de Dukes of the Stratosphear (XTC, pour ceux qui s’en souviennent), il y a de la place pour des jeunes gens qui, SINCÈREMENT, veulent faire de la musique, AU PREMIER DEGRÉ, comme on en faisait en 1967. Et qui y arrivent…
… car Petit-Ami, avec son violoncelle et son chant à fort teneur émotionnelle, atteint encore un nouveau sommet. 1 minutes 27 de pur bonheur suspendu, et déjà le sentiment que, avec Extraa, nous avons enfin un groupe français capable de rivaliser avec les cadors de la pop « classique » anglaise.
In or Out, avec un petit coup de mellotron, nous emmène sur la piste de danse, et fait naître en nous une nostalgie heureuse de nos premiers amours, ces filles ou ces garçons que nous serrions dans nos bras dans la nuit tiède qui nous paraissait alors ne jamais devoir finir. On agite gentiment notre popotin comme si nous étions encore dans cette boum d’un après-midi de nos quinze ans, à tomber amoureux(se) de cette fille mystérieuse, assise dans l’obscurité dans le fond de la pièce : un Bad Dream ? Certainement pas, plutôt un rêve bleu…
Rainy Rainbow a des arpèges aériens qui évoquent la classe folle des Stones de Brian Jones, avant de nous serrer le cœur en format dream pop bien plus de notre siècle : « I had almost survived, so did you… ». Strangers envoie heureusement valser toute tristesse, dans un sautillement power pop qui annonce la fin des seventies, et le charme encore juvénile de Blondie, et confirme que, jusqu’au bout de son premier album, Extraa ne relâchera pas la pression, ne baissera pas la garde. Darling Valentine déploie enfin une évidence pop qui transcende cette chanson a priori très « classique », mais qui va vite parcourir plusieurs ambiances bien différentes : « Darling Valentine, did you walk the line? ». Et c’est fini.
Aucune faiblesse identifiable dans ces 30 minutes parfaites de pure joie mélodique, si ce n’est, si l’on veut vraiment chercher des poux à un album aussi accueillant, un sentiment de confort qui peut finir par engourdir. Baked s’apparente à un petit miracle, qui plus est venu de nulle part, ou presque : pensez donc, un premier album aussi maîtrisé réalisé par un groupe encore inconnu ! Qu’ils ajoutent une goutte de poison ou une pincée de malaise dans leurs prochaines chansons, et Extraa sera tout bonnement exceptionnel !
Eric Debarnot