Le violoniste britanico-sud-africain Daniel Hope s’attaque au répertoire de cette période étrange de l’histoire pas si lointaine, cette entre-deux guerres entre 1871 et 1914 avec un programme fait de magnifiques évidences et de belles redécouvertes.
La musique, qu’elle soit savante, profane ou pop, a cette capacité à nous faire voyager d’un état à un autre, d’un temps à un autre, d’un espace à un autre. Avec quelques notes vous pouvez vous retrouver transporté dans des moments révolus, dans des heures jamais vécues. Vous pouvez vous retrouver au centre d’un tableau de Munch, de Klimt ou de Léon Spilliaert.
C’est à une heure exquise que nous invite Daniel Hope sur ce double-cd gourmand et généreux où s’avoisinent des pièces connues mais aussi des œuvres moins jouées. Avec une infinie délicatesse mais aussi avec une belle personnalité, le violoniste nous maintient dans le giron de cette matière mouvante qui s’étire du romantisme jusqu’au modernisme. Aussi confiant dans la dissonance presque dodécaphonique comme dans le lyrisme d’une oeuvre naïve, le musicien se délecte à contourner les bonnes manières pour leur préférer une sophistication faite d’un doux mélange d’humilité et d’irrévérence.
On y croise aussi bien l’amant de Marcel Proust, le trop méconnu Reynaldo Hahn mais aussi un Elgar une fois encore virtuose ou un Strauss rayonnant.
La part belle est donnée à l’éclectisme à la manière d’un enfant un peu turbulent qui ne répondrait qu’à la seule urgence pressante de ses envies et caprices. L’homme s’amuse également avec l’histoire et le temps s’appuyant sur son violon fabriqué par le luthier Giuseppe Guarneri en 1742. Il tisse des passerelles évidentes entre le romantisme moribond et l’impressionnisme naissant. On jurerait par instant se confondre dans un tableau de Klimt ou de Munch, Nuit A Saint Cloud ou ces grands rayons de soleil aveuglants de la fin de la vie du peintre norvégien.
Dans l’ombre des grands hommes, les grands créateurs ou les grands artistes, il y a toujours d’autres grands hommes plus anonymes, des Martin Hannett, des Rob Gretton, des êtres qui permettent aux musiciens de s’ouvrir à une plus grande disponibilité. Derrière Daniel Hope mais aussi Joep Beving ou Vikingur Olaffsson, se cache un passionné discret, un certain Christian Badzura qui, depuis 2011 a intégré le prestigieux label allemand Deustch Grammophon pour y construire un catalogue et un répertoire parallèle.
Là où les plus grincheux ne pourraient trouver dans ces formules revisitées de Vivaldi par Max Richter ou de Chopin par Olafur Arnalds que des actes un peu putassiers de vulgarisation, on peut peut-être y deviner quelque chose qui ressemble un peu à une forme de révolution. Car la singularité de la vision du directeur artistique qu’est Christian Badzura réside dans cette volonté à ne pas distinguer et encore moins scinder musique dite classique ou savante et la Pop. Et de se réapproprier le répertoire d’Aphex Twin sur For Seasons, le disque de 2017 de Daniel Hope, d’incorporer de la matière électronique à la manière du Henosis de Joep Beving ou des travaux de Max Richter sur Virginia Wolff. Ici Badzura se fait plus discret sans toutefois oublier de magnifier de ses arrangements la Rêverie de Debussy. Oscillant entre le respect du patrimoine et l’envie de tout bousculer, Christian Badzura a une véritable vision pour le label allemand, vision parfaitement mise en forme sur ce disque de Daniel Hope.
Un répertoire à la fois impétueux, sensuel et bouleversant.
Greg Bod
Daniel Hope – Belle Epoque
Label : Deutsche Grammofon
Sortie le 07 février 2020