L’ondiste Christine Ott use de peu d’artifices pour vous prendre dans ses filets, mais ces Chimères (Pour Ondes Martenot) s’insinueront en vous pour ne plus vous quitter comme un ailleurs qui ne cesserait de se décloisonner.
A quoi ressemblerait le son qui vous constitue, vous ? A quoi ressemblerait votre pulsation vitale ? Par quelles ondes se traduiraient vos plus infimes angoisses et vos plus grands doutes ? Et si les accidents de la vie se prolongeaient et se métamorphosaient dans des formes sonores, quelque chose entre le bruit et la mélodie ? Et si le son pouvait être à la fois harmonieux, cristallin et cruel ? Si dans un souffle, un soupir pouvait cacher un cri, une larme ou toute autre chose ? Un impalpable mouvement qui échappe à la raison. Peut-être alors, le son au fond de moi ressemblerait aux stridences des Ondes Martenot entre chants de sirènes, cétacés amoureux et dérives délétères. Des notes qui ne disent rien mais qui disent tout.
Une musique ni complexe ni hermétique
N’y a-t-il pas plus disserte qu’une musique instrumentale prétendument muette ? Disserte car prétexte à toutes les interprétations. Christine Ott avec ce troisième album solo, Chimères (Pour Ondes Martenot) poursuit une oeuvre solo entamée avec Solitude Nomade (2009) et Only Silence Remains (2016) avec un geste résolument radical mais jamais dénuée d’une émotion de chaque instant. La dame ne choisit jamais entre émotion et expérimentation. Pourtant, jamais sa musique ne semble complexe ni hermétique. Pourtant, jamais la musicienne ne tombe dans la facilité ou la prévisibilité. La première prise de risque largement réussie réside assurément dans cette volonté à n’user que de son seul instrument étrange contrairement aux deux autres disques où certes les Ondes Martenot restaient la pièce centrale de l’instrumentation mais étaient accompagnées d’une belle orchestration de cordes. Ici la volonté tente à un minimalisme absolu. Pourtant c’est comme si mille instruments s’exprimaient comme des ondes qui se répercuteraient d’espace en espace.
L’oeuvre la plus radicale de Christine Ott
On ne nous prendra pas en faute ici à user des clichés habituels quand on évoque les Ondes Martenot, ces chants de sirène ou ces sons célestes qui conviennent pourtant tellement bien à cet instrument. Christine Ott en musicienne virtuose y apporte autre chose, une fratrie qui court d’Arvo Pärt en passant par Bach. Il y a également un évident rapport à l’onirisme et au mysticisme dans ces longues mélodies concassées ou aériennes.
Les titres à eux-seuls glissent quelques indices évidents, Darkstar, Pulsar tout en martèlement que ne renierait pas Autechre, Eclipse comme une longue complainte menaçante. Et si alors l’astre disparaissait derrière le masque, et si il ne revenait plus ? Et si les rues étaient vidées de toute présence humaine, et si l’obscurité gagnait. Chimères (Pour Ondes Martenot) est à ce jour l’oeuvre la plus radicale de Christine Ott, la plus difficile également, la plus difficile car elle ne se complaît jamais dans des sentiments en demie-teinte, ici tout est tranché et flou à la fois.
Elle ne fait aucun effort pour nous plaire à tout prix, elle plonge au coeur de l’intime, au plus profond du sujet, ce qu’elle fait remonter rappelle ces vieux cauchemars récurrents, cette scène de rêve dans Freud Passions Secrètes (1962), ce film de John Huston. Les décors se craquellent, la peinture s’écaille, les formes se font imprécises, la brume gagne. N’avez-vous jamais remarqué qu’alors que vous naviguez à l’aveugle au milieu d’un brouillard, vous voyez peut-être encore mieux le monde qui vous entoure car votre angoisse est aux aguets, votre coeur bat au rythme de votre pas, le danger rôde autour de vous.
Un disque qui évoque autant Messiaen et Debussy que Stars Of The Lid ou Squarepusher
C’est un peu cela qu’exprime Christine Ott dans Todeslied, une dérive dissonante, une sphère labyrinthique qui n’en finit pas de nous perdre. Allant chercher aussi bien dans un orientalisme que chez Messiaen ou Debussy, Christine Ott ne nous épargne jamais.
Dans ses instants les plus apaisés, Chimères (Pour Ondes Martenot) rappellera les œuvres passées de Stars Of The Lid, dans ses parties les plus bruitistes, Squarepusher qui aurait découvert cet instrument ancien. On insistera sur l’actualité et la pertinence des Ondes Martenot qui, aujourd’hui comme hier, résument à elles-seules un modernisme qui n’en a pas oublié d’être poétique. Car il y a un mystère toujours prégnant dans le son en modulation inventé au début des années 20 par un certain Maurice Martenot. Quelque chose qui lierait la technologie et l’électricité à l’organique et l’indicible.
En évoquant Chimères (Pour Ondes Martenot), On n’oubliera pas de citer Paul Régimbeau (Mondkopf) et Frédéric D. Oberland (Oiseaux-Tempête) qui triturent des boites d’effets pour modifier totalement les mélodies de Christine Ott, un peu à la manière d’un Murcof avec Vanessa Wagner le temps de Statea (2016). Autant parfois l’abstraction et peut-être l’improvisation semblent prendre le dessus, autant parfois Christine Ott semble assumer quelques emprunts, une voix haute à la main gauche et une voix basse à la main droite comme un contrepoint digne de Bach sur Darkstar. Employant très clairement les structures héritées de la musique classique, la Fugue en particulier, Christine Ott propose une musique ambitieuse et généreuse, jamais intimidante mais jamais complaisante non-plus.
Avec Chimères (Pour Ondes Martenot), Christine Ott ne signe pas un disque solo mais plus une collection de pièces musicales pour orchestre d’Ondes Martenot, une oeuvre démiurgique et puissante !
Greg Bod