Étonnant désastre que Run, une série pourtant produite par Phoebe Waller-Bridge, qui échoue à transposer les mécanismes de Fleabag dans l’environnement américain.
Mais qu’est-il donc arrivé à notre chère Phoebe Waller-Bridge ? Elle nous avait littéralement enchantés avec son fantastique Fleabag, nous avait un peu déstabilisés avec les maladresses de son Killing Eve, et voilà qu’elle produit une série aussi littéralement consternante que ce Run, dont on est bien en peine d’identifier la moindre qualité après sept épisodes de trente minutes qui auront vu la série perdre peu à peu tout l’élan pris lors de son premier épisode, et finir par nous déprimer avec une conclusion à proprement parler lamentable. Et lâche.
Car tout commençait plutôt bien, avec un scénario simple mais à fort potentiel empathique (qui n’a pas rêvé au moins une fois dans sa vie de tout plaquer pour retrouver ce premier amour qui a laissé tant de traces dans notre mémoire ?), et avec deux acteurs sur lesquels on ne tarit habituellement pas d’éloges : Merritt Wever qui nous avait bouleversés dans Unbelievable que sa douceur illuminait littéralement, et Domhnall Gleeson (fils du génial Brendan, rappelons-le), toujours impeccable quand il s’agit de jouer les faibles, les lâches et les ordures de tout poil. Et il y a en plus cette belle idée – européenne ? – de situer l’action dans un train, qui est quand même LE moyen de transport le plus romantique, le plus efficace pour créer de la tension dans un huis-clos, mais aussi le plus négligé de tous par le cinéma américain qui reste indéfectiblement attaché à la voiture et à l’avion.
On attend, du fait de la participation de Waller-Bridge au projet, de la bizarrerie foutraque, du vécu drolatique et émouvant, des dérapages scénaristiques vers l’absurde, et surtout des personnages passionnants… et, si l’on est un tant soit peu honnête malgré notre cruelle déception, on a bien un peu de tout ça… sauf que rien ne fonctionne : si l’on peut croire à cette ménagère qui rêve d’un break dans sa vie familiale harassante et à ce conférencier brillant mais creux qui vend ces rêves d’accomplissement en carton-pâte dont se repaissent les publics anglo-saxons, jamais on n’arrive à accepter un seul instant une quelconque relation entre eux… ce qui condamne évidemment la série au désastre total. Non, on n’a strictement rien à faire de ces va-et-vient à peu près injustifiables, de ces « je t’aime moi non plus » incohérents qui constituent la quasi totalité du scénario. Manque de « chimie » entre Merritt et Domhnall ? C’est très probable ! Faiblesse de la direction d’acteurs ? C’est certain !
Mais quand Run, à l’occasion d’une « escale » dans l’Amérique profonde, déraille vers le thriller façon Coen Bros., avec autochtones imbibés, police pas très compétente et taxidermiste allumée (Mrs Waller-Bridge herself, qui fait son coming out (ou pas ?) gentillet et prévisible), la série touche le fond. Ne reste plus qu’a envoyer valser tout ce cirque dans un ultime épisode qui manque autant de respect au téléspectateur qu’à ses pauvres personnages. Un raccourci géographique et temporel négligent laisse tout le monde en plan, finissant par ruiner le peu de crédibilité qui restait à la série.
On est donc impatients de retrouver Phoebe Waller-Bridge dans un projet dont elle ait la complète maîtrise, et surtout, dont elle assure l’écriture !
Eric Debarnot