Atteints par un mystérieux virus, les habitants de la Terre se mettent à perdre le sommeil. Très vite, les premiers signes de chaos apparaissent… Une fiction perturbante qui rendrait presque notre Covid-19 sympathique.
Rien ne laissait prévoir l’apparition d’un tel virus. Un virus au symptôme en apparence anodin, mais qui va avoir des conséquences funestes pour le monde entier. Sa particularité : la perte totale du sommeil. Témoins et victimes horrifiés de l’apparition du virus, un groupe de chercheurs va vivre la fin d’un monde en proie au chaos, celui des humains, les animaux étant étrangement épargnés par la pandémie.
Paru en octobre de l’an dernier, ce roman graphique, intitulé ironiquement Espèces invasives, après deux mois de confinement lié à un Covid-19 qui nous est tombé sur le coin de la nuque sans prévenir, prend aujourd’hui par certains aspects une dimension étonnement visionnaire. Sidérés nous avons été, tout comme le groupe de scientifiques de l’histoire, venus des quatre coins du monde pour finir confinés dans un hôtel de Buenos Aires,. Et au fond, à quoi bon puisqu’ils le découvriront très vite, le virus dont il est question n’épargne personne… face à cette intrusion de l’irrationnel, leur esprit de scientifiques cartésiens sera mis à rude épreuve…
Ce huis-clos fantastique, d’une trame simplissime, est à la fois captivant et terrifiant, dans un contexte de chaos qui envahit les rues de la cité, en contraste avec le calme de l’hôtel quasi désert. Pour nos amis scientifiques, cet hôtel ne constituera hélas qu’un refuge bien dérisoire pour l’implacable virus tueur. La tension qui irrigue le récit rappelle un peu le Château de sable de Frederik Peeters, thriller métaphysique où chacun des protagonistes se sait condamné, prisonnier d’un compte à rebours irréversible qui les rapproche de la mort à toute vitesse, ou encore les Dix Petits Nègres d’Agatha Christie. Au-delà de son aspect ludique, ce récit est sous-tendu par un propos écologique très actuel, nous rappelant non sans malice que les « espèces invasives » ne sont pas celles que l’on croit et que l’être humain possède un don particulier pour ne voir que la paille dans l’œil de l’autre… En cela, les dernières pages résonnent de façon troublante avec la récente période de confinement qui a vu sur toute la planète la nature reprendre ses droits dans les villes mêmes, faisant l’objet d’une scène magnifique…
Le trait, encore un tantinet vert, dénote néanmoins de la part de son auteur une certaine intuition graphique et un souci du détail (notamment avec la représentation des rues et de l’architecture portègnes, véritable déclaration d’amour à la capitale argentine), avec un cadrage efficace et une mise en page qui assure une lecture tout en fluidité.
Espèces invasives est la première œuvre plus qu’honorable d’un inconnu, Nicolas Puzenat, qui signe à la fois le dessin et la narration. Ce littéraire féru d’Amérique du Sud, qu’il a beaucoup parcouru, a eu la bonne fortune d’être pris sous l’aile de Sarbacane, un des éditeurs les plus passionnants à l’heure actuelle. Une belle découverte et peut-être même un auteur à suivre.
Laurent Proudhon