Après le superbe et inaugural The Substance Of Perception en 2019, l’italien Alessio Antoni alias Neraterrae continue d’installer un univers qui doit autant au Dark Ambient qu’à des réminiscences médiévales. Ames sensibles ne pas s’abstenir.
Ceux qui s’intéressent de près ou de loin au courant Dark Ambient savent combien cette musique propose une étrange manière de se relaxer et de prendre ses distances avec le monde contemporain pour plonger dans des angoisses bien plus anciennes, dans des rites paiens un peu oubliés. Le Dark Ambient joue avec les limites dans un constant conflit entre dissonance et harmonie, dans un jeu sur le fil du rasoir entre bon et mauvais goût.
Avec son second disque , Scenes From The Sublime, le projet Neraterrae de l’italien Alessio Antoni travaille l’angle le plus gothique de cette scène, on pourrait même évoquer ces romans noirs à la manière du Moine, ce roman de Matthew G.Lewis de 1796. Les ambiances sont ténébreuses et ombrageuses, parfois cauchemardesques et hantées comme l’ombre d’un Max Shrek sur un escalier. Et Alessio Antoni de jouer de 50 nuances de noir, de décliner ces minuscules différences, ces instants entre une aube astronomique (qui ressemble à la nuit), une aube astronomique (juste assez claire pour distinguer un objet dans le noir) et une aube civile (quand il fait assez jour pour que les gens se lèvent sans se cogner partout). Même si la torpeur gagne du terrain tout au long de Scenes From The Sublime, on est gagné par ce sentiment paradoxal de baigner dans la lueur d’une heure argentée.
Musique de chien et de loup, l’univers de Neraterrae irrite l’impalpable et convoque l’énigme. Appuyant sa vision sur les tableaux de grands maîtres de l’histoire de l’art, Alessio Antoni s’accompagne également de confrères illustres de la scène Dark Ambient, Phelios, Dødsmakin, Shrine, Leila Abdul-Rauf, Cober Ord, Xerxes The Dark pour ne citer qu’eux. En résulte un magma sonore entre noise, expérimentations et accalmies bienvenues, quelques rayons de lumière qui viennent éclairer des chambres endormies.
Mais ce que l’on entend, ce que l’on sent immédiatement dans Scenes From The Sublime, ce second disque de Neraterrae, c’est cette volonté à faire une oeuvre totale, une rencontre pluridisciplinaire. On ne peut comprendre et donc entrer dans ce disque si l’on n’intégre pas le postulat de départ, l’origine même de ces pièces musicales tourmentées. Chacune de ces partitions sont comme autant d’interprétations d’un tableau, de rapport imaginaire entre un musicien et un peintre, de rencontres entre deux esprits dans cet espace infinitésimale qu’est cette complicité entre une oeuvre d’art et son contemplateur. On y croisera aussi bien l’Arnold Böcklin de l’Ile Aux morts que Caspar David Friedrich, Francisco Goya, Hyeronimus Bosch ou encore Salvador Dali. Alessio Antoni s’empare de la vision de ses aînés et entre de plein pied dans ces tableaux, il anticipe même le geste du pinceau.
Scenes From The Sublime rebutera peut-être certains d’entre vous par sa noirceur de façade quand d’autres y verront une ouverture vers un autre territoire. A la fois lettré, sensuel et cultivé, Neraterrae impose une musique ambitieuse, complexe et mouvante qui ne sera pas sans rappeler le Winds Devouring Men (2003) d’Elend pour cette même capacité à décrire l’effroi muet mais glaçant.
Si fuir dans des souterrains ténébreux ne vous fait pas peur, si délaisser la lumière pour l’obscurité vous excite, Scenes From The Sublime sera votre compagnon de fortune dans ces tunnels utérins, des tunnels risqués et dangereux où une rencontre hasardeuse est toujours à craindre, ces espaces où l’on se sent étrangement si vivant.
Greg Bod