L’homme qui tua Chris Kyle nous plonge dans une Amérique angoissante, blanche, nationaliste, idolâtre des armes et du dollar. Une lecture indispensable.
La guerre tue. C’est un fait. En première ligne, les soldats tuent en situation de légitime défense. Artilleurs et aviateurs tuent de loin. Seul le sniper tue froidement, sans risques, et voit, dans sa lunette, le résultat de son action. Un sale boulot.
Chris Kyle était Navy Seal. Ce commando marine a effectué quatre séjours en Irak comme tireur d’élite. Le meilleur de l’armée américaine avec 255 tirs réussis, dont 160 homologués.
Le body count est une sinistre tradition des snipers. Le record mondial est détenu par Simo Häyhä, un Finlandais surnommé « la mort blanche », avec 505 victimes en moins de 100 jours. Il y laissa sa mâchoire inférieure. Les suivants au palmarès sont russes. Simo et les Soviétiques défendaient le sol de leur pays et se gardèrent de publier leurs mémoires.
L’Irak est une sale guerre. Kyle protégeait ses camarades des attentats suicide. Il tirait juste. Il ne regrette rien. Il a fait son boulot, déplorant n’avoir pas réussi à protéger tous ses compatriotes. De retour à la vie civile, Kyle sembla perdre les dédales. Grâce à sa femme et au succès de son livre, il reprit pied et se voua à l’appui des vétérans souffrants de troubles de stress post traumatique en les invitant à tirer sur des cibles. Étrange thérapie. Eddie, un ancien marine, retourna son arme contre Kyle et le tua.
Voilà pour l’histoire. Le scénario de Fabien Nury est un hommage à L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. La victime n’est plus un sympathique tueur en cavale, mais un inquiétant héros américain. Les dialogues sont tirés des véritables déclarations de Kyle, de sa veuve, d’un étrange gouverneur et de la famille d’Eddie Ray Routh.
Le dessin de Brüno alterne de longues séquences d’interviews à quelques scènes d’actions très réussies, la course-poursuite, l’assassinat ou l’enterrement. Son trait est d’une grande sobriété. Les visages peu expressifs sont au service du texte. Or, le texte est sidérant. Kyle est un texan. Dans l’ordre, Il aime son pays, les armes, l’argent, la légitime défense, sa femme et un dieu punitif. Après avoir fait son devoir, il entend exploiter son tableau de chasse pour faire de l’argent. Il crée une société de sécurité et conseille des fabricants d’armes. Son livre est un best-seller et son adaptation cinématographique est confiée à Clint Eastwood. Le guerrier s’est mué en star.
Eddie est un raté. S’il a côtoyé la mort, il n’a jamais combattu. Il sombre dans la folie et s’enflamme à l’idée de rencontrer la légende des marines. Glaçant.
Stéphane de Boysson