Quel dommage de voir un thème aussi passionnant que celui de la nouvelle série italienne signée Netflix, gâché par un travail d’écriture pas assez soigné et par quelques facilités « à la mode » ! Reste que, ne serait-ce pour sa terrible conclusion, on peut s’intéresser à Curon…
Et nous poursuivons donc avec Curon notre tour du monde des « séries Netflix », un tour du monde qui n’est que trop peu souvent d’ailleurs l’occasion de se réjouir… Et Curon, série italienne, ne sera malheureusement pas une réelle exception à cette règle… Pourtant, pourtant, tout cela se présente bien, avec un thème fantastique à la fois classique et original, susceptible de générer et de beaux moments d’angoisse, et de jolies prises de tête existentielles : dans une toute petite ville perdue dans la montagne près de la frontière entre l’Italie et l’Autriche, perchée au bord d’un lac artificiel où repose l’ancien village submergé, les habitants sont régulièrement remplacés par leurs doubles sortant de l’eau. Brrrr…
Les références abondent, entre l’étrangeté des bois de Twin Peaks et le « grand remplacement » à la Body Snatchers, ou plus proches de nous, la malédiction familiale vers laquelle retournent des adolescents façon Locke & Key, et les pièges quasi- métaphysiques tendus par la duplication des êtres, évoquant Dark. Tout cela est bien beau, mais malheureusement l’équipe italienne de Ezio Abbate, Ivano Fachin et Giovanni Galassi ne va que très rarement se montrer au niveau de ces modèles, ou même des ambitions du thème de départ. La série démarre même particulièrement mal, les premiers épisodes louchant éhontément vers le teen movie US (ou plutôt la teen serie US…) des plus stéréotypés, et ses premiers épisodes risquent de décourager pas mal de téléspectateurs.
Il serait néanmoins dommage de ne pas aller au bout des sept épisodes, parce que l’atmosphère des lieux finit par « prendre », entre méchantes vendettas (l’opposition – bien vue – entre les origines germaniques des uns et italiennes des autres…), menace diffuse représentée par les loups errants autour de la ville, et conflits familiaux et parentaux exacerbés par les non-dits et les doutes. Toute la partie autour de la substitution de Lucas arrive même à être effrayante, grâce à une très bonne interprétation, et les deux derniers épisodes sont réellement fascinants, en dépit de nombreuses « petites » invraisemblances et d’une écriture généralement trop relâchée (on se dit que resserrer quelques boulons ici et là dans un scénario qui est loin d’être mauvais n’aurait pas dû être trop difficile, et on se demande donc pourquoi ça n’a pas été fait !).
https://www.youtube.com/watch?v=XUg_lpDHN8o
C’est au cours de cette dernière ligne droite de la saison que les scénaristes prennent enfin la juste mesure du concept de « substitution », qui mène à des interrogations fondamentales sur ce qui fait notre identité, notre singularité : les tourments d’enfants doutant – à jamais ? – de la « réalité » de leurs géniteurs, l’impossibilité de trancher entre deux versions identiques d’une même personne, voilà de beaux sujets, qui nous valent une conclusion assez terrible, voire nihiliste malgré ses aspects mélodramatiques (pas déplaisants, d’ailleurs).
Bref, Curon, qu’il faut évidemment regarder, comme toujours, en VO, vue la belle version de la langue italienne parlée ici, échoue à tenir totalement ses promesses, mais reste une aventure qui peut être tentée par quiconque aime les sujets singuliers.
Eric Debarnot