Deux femmes, une bourgeoise qui s’ennuie et une Africaine en situation irrégulière sont embarquées dans la même galère sans pour autant pouvoir conjuguer leurs attentes. Deux mondes qui s’entrechoquent comme deux plaques tectoniques dans un roman sensible et touchant.
La narratrice, entre soixante et soixante-dix ans, divorcée, retraitée par anticipation, pour tromper son ennui, s’est, comme de nombreux sexagénaires, investie dans le bénévolat. Elle s’est engagée dans le soutien aux migrants. Amère et même aigrie, après une vie sans grand amour avec un grand-père tripoteur, un père décédé trop tôt, une mère remariée dont elle ne supporte pas le nouveau mari, un époux plus géniteur que père, des enfants loin des yeux loin du cœur, elle culpabilise très fort d’appartenir à la fameuse génération qui a détruit la planète en ne laissant que des ruines à ses enfants. Du moins, c’est ce qu’elle pense.
Elle raconte son histoire à la deuxième personne, comme pour mieux impliquer ses lecteurs, en commençant par la visite qu’elle rend à Aminata une Africaine retenue dans un CRA (Centre de rétention administratif) à Oissel dans la région de Rouen. Selon la fameuse Procédure Dublin, dont l’intitulé vaut à lui seul son pesant de cacahuètes, celle-ci devra retourner en Italie car c’est le pays par lequel elle est entrée dans l’Union européenne. C’est là que commence la folle épopée d’Aminata et par conséquent de la narratrice qui est la seule personne qui peut lui apporter une aide concrète dans des péripéties auxquelles la pauvre migrante ne comprend rien.
Cette histoire c’est tout d’abord l’histoire des femmes qui se retrouvent seules à l’entrée dans le troisième âge quand elles ont divorcé et que leurs enfants ont pris leur envol, que leurs amours et leur sexualité ne sont plus que des souvenirs. Alors, pour s’occuper, pour avoir l’impression d’être encore utiles à la société, pour se faire pardonner leur contribution aux malheurs de la planète, elles s’investissent dans des causes humanitaires où écologiques où elles constatent très vite que leur ennui et leurs petites déprimes ne sont que des gouttes d’eau face à l’océan de malheurs qui accable les pauvres femmes jetées sur les routes de l’exil sans le moindre viatique, à la portée de tous les prédateurs, escrocs ou profiteurs, simple matière première des organismes chargés de les canaliser et des bénévoles en quête d’une bonne conscience perdue pendant leurs années de travail sous la férule de managers formés à l’école du profit maximum.
La description de deux mondes en mouvement qui se heurtent comme deux plaques tectoniques dans un fracas destructeur. Les bourgeoises européennes qui culpabilisent ne résoudront jamais les problèmes soulevés par les flux migratoires, accueillantes et migrantes ne se comprendront jamais, elles n’ont pas les mêmes problèmes, les mêmes quêtes, les mêmes intérêts, elles n’ont rien à partager et elles n’ont que des choses à se prendre l’une à l’autre mais rien à échanger. Toutes, des femmes qui doivent assumer leur féminité, leur infériorité, leur statut, leur misère, leur frustration… chacune dans leur contexte, chacune pour soi !
Denis Billamboz