A l’occasion du Disquaire Day, Emily Loizeau publie une splendide édition vinyle, dédicacée par elle-même et ses collaborateurs Casba et Julie-Anne, de Run Run Run, son album hommage à l’œuvre poétique de Lou Reed, avec le Velvet Underground et en solo. Nous avons voulu la rencontrer pour mieux comprendre ce projet important sur un artiste essentiel de l’histoire du XXè siècle.
Benzine : Emily, ce nouvel album est donc l’enregistrement d’un spectacle sur Lou Reed. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Emily : Il ne s’agit pas réellement de mon nouvel album, qui sortira en 2021, mais plutôt d’un projet à part… C’est en effet le live d’un spectacle qui a tourné pendant 3 ans, et qui est important pour moi et mes deux comparses, le guitariste Csaba Palotaï et la comédienne Julia-Anne Roth, qui est ma grande amie et avec qui je travaille. Julia-Anne a grandement contribué à la scénographie
Benzine : Alors, pourquoi Lou Reed ?
Emily : C’est plutôt une sorte de hasard… J’ai grandi adolescente en écoutant le Velvet Underground, mais je n’étais pas une experte de Lou Reed. À la suite de sa disparition, un hommage était voulu en 2014 par le Marathon des Mots de Toulouse, qui mettait en avant cette année-là Traverser Le Feu, l’intégrale de toute l’œuvre de Lou Reed réalisée par Bernard Comment (qui était un grand ami de Lou), publiée par le Seuil, avec de sublimes traductions de Sophie Couronne…
On m’a demandé si je serais d’accord… donc ce n’était pas à l’origine un choix à moi… Nous avons alors effectué une plongée dans l’œuvre de Lou Reed en très peu de temps, du fait du timing serré. Nous nous sommes appuyés sur Traverser le Feu, nous avons construit autour de textes, d’extraits d’interviews…
Après cette lecture, nous avons eu envie ensuite de continuer, et nous avons proposé au CENTQUATRE de démarrer notre collaboration avec ce spectacle. L’approche est de faire un spectacle immersif, en « quadri frontal » : il n’y a pas de scène, nous sommes installés en cercle, à même le sol, au cœur de la salle et au même niveau que les gens qui sont assis autour de nous, par terre sur des coussins, nous sommes baignés dans le même son puisque les enceintes sont aux quatre coins de la salle… C’est vraiment « hors format », par exemple on joue déjà quand les gens arrivent…
Benzine : Comment ont été choisis les titres qui ont été interprétés dans ce spectacle ? Pourquoi ceux-ci, et pas d’autres ?
Ça s’est passé de manière spontanée et empirique, ça s’est mis en place de manière naturelle. C’est cette plongée effectuée pour préparer le spectacle qui m’a fait comprendre plus profondément son œuvre poétique, ça m’a permis d’y entrer à nouveau par une autre porte…
Ce que j’aime quand je reprends quelqu’un, c’est l’appropriation du morceau, le but est de dire : « Ah, tiens, j’aurais pu dire ça, moi aussi ! ». Le repère intérieur c’est ça, et même si mon existence n’a rien à voir avec celle de Lou Reed, l’idée est d’en tirer quelque chose d’intime. Ensuite il y a un rythme à trouver, il faut choisir aussi les chansons pour qu’il y ait un souffle, un rythme et un point de vue… On a voulu s’inspirer du geste du Velvet, ce jeune groupe qui a commencé à jouer à la Factory d’Andy Warhol… et faire de ce geste quelque chose qui nous ressemble, refaire des vidéos avec ce qu’on est, tout en ayant digéré celles de l’époque… Ne pas être dans la citation ou la référence, mais plutôt rejouer le jeu, rendre hommage en disant ce qu’on est, nous…
Benzine : Il semble y avoir ici un choix clair d’une interprétation paisible, même pour des titres qui ne le sont pas à l’origine… Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
Emily : On est dans un geste intimiste, c’est un moment de recueillement dirigé vers lui, ça a été créé juste après sa mort… Or Lou Reed a toujours très irrité par la soif de la presse de ragots et d’histoire de dépravation à son propos, du manque d’intérêt général envers sa face d’amoureux de la poésie, de Shakespeare, d’Apollinaire par exemple… Il voulait qu’on entende ses mots…
Donc il s’est agi de mettre en avant la force poétique de son langage… D’offrir le verbe et les chansons dans leur habit le plus simple… C’est aussi pourquoi on a voulu les traductions françaises pour que les gens puissent les comprendre. Ce qui m’a particulièrement frappée, et beaucoup touchée, c’est combien il y a de la tendresse à fleur de peau dans son œuvre. Même si la rage est là, je ressens aussi cette émotion quand je chante ces chansons : c’est bouleversant…
Cela dit, on reste quand même tout au bord de l’explosion avec deux moments un peu chargés, Run Run Run et Sword of Damocles.
Benzine : Alors, cet album, c’est pour faire découvrir ce spectacle, qui continue ?
Ce spectacle, ça a été un truc fort pendant 3 ans, et, en effet, on le jouera au CENTQUATRE en septembre… Mais non, ce vinyle n’a pas pour but de faire connaître le spectacle aux gens en prévision d’une reprise. C’est simplement une manière d’en garder une trace, puisqu’à ce jour nous ne prévoyons pas de le tourner de nouveau (même si tout peut arriver, bien entendu !). C’est une manière d’offrir un scrapbook sonore aux gens qui l’ont vu, et de le faire découvrir à ceux qui n’ont pas eu la chance de le voir…
Benzine : Merci Emily, on ira donc vous voir avec Run Run Run en septembre au CENTQUATRE, et on se reparle en 2021 pour la sortie du « vrai » nouvel album !
Propos recueillis par Eric Debarnot