Plus connu comme affichiste, Stéphane Trapier réunit dans ce bel album ses « plus grands succès ». Le portrait d’une France inconnue, car retravaillée par un scénariste poète et loufoque.
Parues dans Fluide Glacial, ses courtes histoires ont pour principaux héros le couple de Giscard et Giscarda. Ces petits bourgeois retraités confinés dans leur pavillon de banlieue pourraient être les parents de Stéphane Trapier. Le toujours moderne Giscard calme son impatience de se voir rappeler à la tête de l’État par les Français, en se passionnant pour les nouvelles technologies et le marketing. L’auteur se met lui-même en scène en Mac’on (héros d’un monde sans R) et Pierre Perret. Manifestement diminués, Perret est à la recherche de rimes pour son Zizi, tandis qu’un narcissique Mac’on (sans R) s’écoute penser, seul face à sa piscine.
Les historiettes alternent avec des vignettes en pleine page reprenant très fidèlement de célèbres scènes de polards, drames et westerns des années 50 et 60. Si l’image colorisée est réaliste, elles sont affublées, soit de bulles tirées de variétés des années 70 et 80, soit de thématiques furieusement modernes. L’effet est sidérant. Trapier ne sous-estime pas ses lecteurs, il ne leur simplifie pas la tâche : à nous d’identifier les références. Dans Le Jour se lève, Gabin protège Arletty des assauts de Jules Berry. L’amant éconduit troque sa colère froide pour un surprenant : « Ne me quittez pas, moi je vous offrirai des perles de pluies. » Nous découvrons le Cary Grant de The Awful Truth face à Irene Dunne. Magnifique dans son smoking au nœud papillon immaculé, l’éternel séducteur lâche : « Je me demandais ce que vous vouliez suggérer par « relation non genrée. » »
Les acteurs sont graves, les situations tragiques, or ils poussent la chansonnette. À l’image de Glenn Baxter, Roland Topor ou Pierre la Police, Trapier joue avec notre mémoire. Il mêle les vrais souvenirs aux faux, les siens aux nôtres, les supers héros contemporains aux stars du cinéma de nos parents. Insidieusement, page après page, il nous entraine dans son propre imaginaire qui associe un sympathique vernis absurde, à une veine dérisoire et, peut-être, déjà désespérée. Est-il encore permis de rire ?
Stéphane de Boysson