Le folk de l’irlandaise Brigid Mae Power n’avait pas totalement retenu notre attention jusqu’ici. Avec Head Above The Water, elle change la donne avec des compositions au classicisme assumé mais à la sensibilité assurée.
S’il est un courant musical où il est bien difficile de sortir des sentiers battus, c’est bien le Folk. On risque de passer pour l’opportuniste qui cherche à se donner une légitimité de bûcheron du Canada, à sombrer dans l’ennui d’une soirée de coin du feu. Les ingrédients sont les mêmes que l’on soit dans la vieille Europe ou du côté de l’Amérique, les racines étant les mêmes, quelque part de lointains échos de chants du haut moyen-âge ou qui sait peut-être d’âges encore plus lointains et perdus à notre mémoire.
à mi-chemin entre passé et présent…
On connaît actuellement deux écoles, l’une moderne qui s’appuie sur des racines Folk pour les mener ailleurs à l’image d’un Jonas Bonnetta alias Evening Hymns (sur le point de sortir un superbe nouvel album), l’autre respectant le patrimoine comme Sam Lee. Brigid Mae Power, elle, est dans un entre-deux, dans un espace temps à mi-chemin entre passé et présent, un psychédélisme discret toujours latent dans ses mélopées. Sans doute que l’atout majeur de l’irlandaise se situe dans sa voix singulière qui flirte en permanence avec les limites, avec l’orientalisme un peu comme si son Irlande prenait des teintes exotiques.On y entend un moyen-âge obscur et vibrant, une messe païenne ou peut-être un sabbat (I Was Named After You). Accompagné de son époux, le musicien Peter Broderick, la dame construit un univers tout sauf inoffensif. Délicat assurément mais d’une délicatesse différente de celle proposée par Vashti Bunyan. Se refusant à tout bucolisme, Head Above The Water raconte la vie dans la cité, celle d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
On la sent proche d’une Judee Sill, du Bill Callahan le plus osseux avec ces compositions toujours hantées qui ne sont pas sans rappeler celles d’un Michael Gira Folk. On sent en arrière-plan une personnalité forte et ombrageuse qui n’a que faire de sombrer dans une évanescence délicieuse toute féminine. Ce qui ne l’empêche pas de nous bouleverser bien souvent (I Had To Keep My Circle Small). Il se dégage de ce disque et de ces dix chansons un mystère, quelque chose que l’on ne parvient pas à définir.
Une beauté sans fioriture, toute simple
Et si Brigid Mae Power était une pythie qui savait lire dans ses chants étranges l’avenir des autres, qui savait balayer d’un vibrato dans la voix toutes les incertitudes et tous les doutes ? Car sa voix souvent superbe peut tout raconter et tout dire, l’infiniment petit comme l’éminemment puissant avec une économie magistrale. Head Above The Water évite tous les effets, tout le superflu, la faute peut-être au mixage d’Alasdair Roberts.
Head Above The Water ne cherche jamais à être autre chose que ce qu’il est, un disque de folk. Il ne cherche jamais à être révolutionnaire, rebelle à tout système, novateur à tout craint. Il n’a pour seul ambition que de laisser exister ces chansons et cette voix à l’ambitus et la sensibilité infinie. On peut lui reprocher peut-être son envie de consensus, son absence de prise de risque mais on ne peut nier la beauté qui émane de ces chansons, une beauté sans fioriture, toute simple. En clôture, le titre qui donne son nom au disque annonce même de nouvelles pistes pour l’irlandaise, à noter au passage que ce morceau est peut-être le sommet d’un disque abouti.
Où il faut en somme réapprendre à aimer les petits plaisirs simples qui font la vie.
Greg Bod