Nouvelle biographie expressionniste de la part de l’artiste allemand Reinhard Kleist, cette fois celle d’un champion oublié de boxe, Emile Griffith, dont la tragédie aura été de ne jamais être « à sa place ».
Le nom d’Emile Griffith n’évoque sans doute plus grand-chose de nos jours : l’homme fut pourtant un grand champion de boxe au début des années 60, gagnant le titre mondial dans la catégorie des poids welters, puis des poids moyens. Il fut même élu « boxeur de l’année » aux USA en 1964. Emile était noir, ce qui était « courant » pour un grand boxeur, mais il était aussi homosexuel, ce qui n’était pas facile ni dans le milieu d’un sport très macho, ni dans les Etats-Unis de l’époque. L’un de ses adversaires étant mort des suites des coups reçus lors d’un combat contre Emile, il fut semble-t-il longtemps poursuivi par l’animosité des supporters, qui ne lui pardonnaient surtout pas son homosexualité, qu’il ne dissimulait que partiellement : certes, il se maria avec une femme, mais sa plus grande passion était la création de chapeaux féminins, qu’il considérait comme son véritable métier, bien plus que la boxe, un sport qu’il trouvait trop violent.
Une vie paradoxale, tourmentée, entre la culpabilité dévorante d’avoir tué un homme à coup de poings, et la haine raciale et homophobe qu’il dut affronter tout au long de sa vie… C’est-à-dire un sujet en or pour un biopic hollywoodien, pas encore réalisé, un sujet qui inspira déjà un… opéra en 2013 ! Un sujet parfait pour Reinhard Kleist, vedette de la BD allemande et déjà créateur de plusieurs œuvres historiques, comme Castro, ou biographiques sur Johnny Cash et sur Nick Cave : Kleist nous offre dans Knock Out !, comme c’était déjà avec Mercy on Me, une construction mentale perturbante, complexe, mêlant les faits réels et une sorte de confession – que l’on imagine fictive, mais sait-on jamais ? – d’Emile confronté au fantôme de sa victime, après avoir été lui aussi battu presqu’à mort par une bande de racistes.
Plutôt réaliste, en particulier dans la représentation physique d’un Griffith très ressemblant, le style graphique de Kleist, qui travaille un noir et blanc contrasté, presque expressionniste, donne naissance à un univers violent, impitoyable même, au sein duquel un cœur tendre comme Griffith ne trouvera jamais vraiment sa place, malgré le succès sportif, la célébrité et l’argent. La mise en page et la narration sont très cinématographiques, et contribuent à notre enthousiasme face à un récit soutenu, qui ne s’approfondit pas toujours les détails biographiques, et privilégie plutôt une atmosphère mentale tourmentée.
Finalement, ce qui peut surprendre dans le propos de ce livre, c’est qu’il ne se concentre pas sur l’illustration des difficultés générées par l’homosexualité du boxeur, mais qu’il traite avant tout de la question de sa propre culpabilité : Emile Griffith ne voulait pas faire partie du monde brutal de la boxe, mais celui de la douceur de vivre, de l’élégance et de la fête, son talent « inné » pour le sport ne lui a pas laissé le choix et il en aura payé le prix, et souffert toute son existence…
Eric Debarnot