Après la séparation d’avec son groupe qui l’a fait connaître (les Maccabees), Orlando Weeks n’avait d’autre choix que de se ré-inventer. Pari tenu et réussi avec ce A Quickening en permanence sur le fil, un bien bel album de Pop aventureux.
A-t-on tout dit en Pop ? Les formules sont-elles toutes usées ? Y a-t-il encore la possibilité de trouver des angles déviants ? Des passages secrets dans des châteaux obscurs, des terres pas encore explorées ? Nos aînés ont-il tout dit, tout composé, tout écrit ? Ce serait désespérant de répondre à l’affirmatif à cette interrogation. A quoi servirait la création si toutes les voies étaient bouchées ? Est-ce que l’art doit avoir à tout prix une utilité en soi, un rôle social à jouer ? Et si la réponse, l’espoir et l’optimisme résidaient justement dans ce territoire. L’oeuvre d’art doit se désarmer de sa volonté à vouloir jouer un rôle et ,n’être finalement qu’un dialogue entre le créateur et son double chantant.
Dans le sillage de David Sylvian et Perry Blake
Orlando Weeks qui fût le leader des Maccabees, groupe un peu sous-estimé chez nous se plait à dire dans des interviews pour présenter A Quickening, son premier disque en solo qu’il l’a imaginé et voulu comme une discussion décousue, sans cohérence entre de vieux amis. Vous savez ces échanges qui passent un peu du coq à l’âne, du drame au dérisoire, du futile à l’essentiel, ces mots importants comme ces propos qui n’ont d’utilité que de remplir le vide du silence. Quelque part, Orlando Weeks cherche à travers A Quickening à faire revivre l’émotion de l’instant, de la vie qui défile. Ce ne sera donc pas étonnant d’avoir ce sentiment tenace d’être face à un disque un peu inconstant, peut-être fuyant, décousu. Les climats évoluent d’une chanson à l’autre, ici des effluves Jazz comme ceux que l’on aime chez Mélanie De Biasio, là une matière électronique.
Ce qui est remarquable dès la première écoute sur ce A Quickening inaugural d’Orlando Weeks, c’est cette volonté de poursuivre une aventure esthétique entamée par David Sylvian, prolongée par Perry Blake non sans s’égarer parfois du côté des chansons élégantes de Paul Buchanan. Comme ses aînés, Orlando Weeks peut compter sans coup férir sur sa voix singulière qui invoquera parfois le Justin Vernon des débuts ou un James Blake plus à l’os. Avec un chant toujours au bord du gouffre, à la limite de la rupture, il signe un disque exquisement suranné.
Des compositions aux structures complexes
Les arrangements sont souvent superbes, avec un soin tout particulier sur la production des voix (en canon), sur l’usage des instruments à vent. Mais sans doute que l’artiste dont on pourrait le plus rapprocher Orlando Weeks ce serait un musicien pour le moins méconnu par-ici, l’australien David Bridie qui, aussi bien en solo qu’avec son groupe My Friend The Chocolate Cake, dessine une musique s’étirant aussi bien dans le folk que dans l’électronique ou dans des territoires presque néo-classiques. Ecoutez Act Of Free Choice (2000), un des chefs-d’oeuvre de sa carrière et vous comprendrez.
Pour ses compositions toutes en structures complexes, parfois sourdement alambiquées, on pourra penser à Mark Hollis et Talk Talk sauf qu’Orlando Weeks prend le contre-pied du choix esthétique de l’auteur de Spirit Of Eden, pour atteindre le silence le plus harmonieux, il charge ses chansons d’une multiplicité de lignes mélodiques qui s’entrecroisent, se répondent, se caressent ou entrent en conflit.
Avec A Quickening, Orlando Weeks signe un grand disque de Pop déviante, aventureux et hésitant, à faire jaillir le frisson sous la peau du plus insensible.
Greg Bod
Orlando Weeks – A Quickening
Label : Play It Again Sam
Sortie le 12 juin 2020