Adapter un polar « standard » d’Harlan Coben et en faire une vraie série polonaise, voilà le défi relevé par The Woods, une petite réussite pour qui aime se perdre dans les bois et dans une certaine tristesse ambiante.
Quelque part, on se doit d’éprouver une certaine sympathie vis à vis d’un poids lourd des « romans de gare » – comme on disait à l’époque où on lisait encore beaucoup dans les trains – tel Harlan Coben qui ne rechigne pas à accepter que ses polars « fast food » soient adaptés en France (le « mémorable » Ne le Dis à Personne de Canet) ou en Pologne (comme ce The Woods tirés du livre éponyme…) plutôt qu’aux USA. On imagine que c’est moins rémunérateur pour lui – même si on imagine bien la maison Netflix allonger les biftons, pour le coup…- , mais il est indiscutable que ce déplacement géographique expose ses scénarios bien bétonnés à des surprises, du fait de la nécessité d’une acclimatation à la culture et aux circonstances locales…
Et avec la série d’Agata Malesinska et de Wojtek Miłoszewski, cette « dé-localisation » fonctionne parfaitement : il ne reste rien de typiquement américain dans The Woods, au point qu’un téléspectateur ne connaissant pas Coben n’y verra probablement que du feu. Que ça soit par exemple dans la représentation d’un violent anti-sémitisme dans les scènes des années 60, ou dans la description de l’arrogance d’une bourgeoisie toute-puissante dans l’époque actuelle, les scénaristes ont su parler dans leur histoire un peu de la Pologne et de ses maux, ce qui n’est pas toujours le cas dans des productions Netflix qui décalquent souvent paresseusement les codes du spectacle US dans les autres pays !
Mais l’équipe de The Woods n’a pas non plus eu peur de réécrire assez profondément le thriller original : d’abord dans sa résolution – beaucoup moins spectaculaire ici, puisqu’on a préféré une fin « lente », « en pointillés », diffusant une tristesse grisâtre bien vue mais qui ne laisse pas de décevoir les accros au thriller nerveux… ; mais surtout dans sa structure, puisqu’à la construction très classique chez Coben d’un événement du passé venant resurgir et forçant les protagonistes à réexaminer tout ce qu’ils pensaient savoir sur leur vie, leurs amis, leur famille, il a été préféré une double intrigue avec déroulement en parallèle sur toute la durée des 6 épisodes de la mini-série. S’il s’agit-là d’un procédé très classique, il faut bien reconnaître qu’il fonctionne impeccablement grâce à une vraie finesse d’écriture quant aux échos entre les deux époques, mais aussi du fait de l’indiscutable effet de nostalgie d’une époque d’innocence, symbolisée par ces fameux bois qui sont plus ici un décor à l’épanouissement de la sexualité et des sentiments bouillonnants de l’adolescence qu’un pur lieu de terreur comme chez Coben.
Excellemment interprétée par un casting impeccable et bien dirigé, plutôt élégamment filmée, même si l’on reste dans cette joliesse de bon ton qui devient un marqueur des séries TV de notre époque (quelques jolis plans picturaux filmés à la verticale, il faut l’admettre…), The Woods s’avère un joli travail, psychologiquement juste sans être lourd, et déployant lentement une ambiance prenante. S’il y a une limite à l’exercice, c’est plutôt que tant d’intelligence et de bon goût finissent par engendrer une sorte de fadeur engourdissante, que le dévoilement final des « horreurs du passé » n’arrive même pas à animer. On peut donc facilement s’ennuyer devant The Woods, pour peu que l’on ne se prenne pas d’affection pour ses personnages, et que l’on espère surtout trop d’action et de coups de théâtre, deux « mécanismes du spectacle » fort peu utilisés ici.
Si l’on goûte, à l’inverse, ce sentiment de tristesse diffuse et de vies perdues qui finit par triompher (mais le livre de Coben se terminait lui-même de manière très sombre…!), il y a de grandes chances que l’on apprécie cette série qui nous change agréablement du tout-venant.
Eric Debarnot