[Ciné classique] Nous avons gagné ce soir (The Set Up) : un classique du film de boxe

Comme le gong de la réouverture des salles a retenti, rien de tel qu’un coup de projecteur en trois axes sur Nous avons gagné ce soir de Robert Wise, un classique pugilistique du film noir.

Nous avons gagné ce soir - Robert Wise
Copyright Editions Montparnasse

Biographie :

«Mes trois P : passion, patience, persévérance, si vous voulez devenir un cinéaste», conseillait Robert Wise, avant de reposer en paix, le 14 septembre 2005. Né le cadet de trois frères à Winchester (Indiana), le 10 septembre 1914. Durant la crise économique de 1929, son père trouve un emploi de comptable en Californie dans les studios RKO, où il fait engager son fils comme coursier. En 1939 Robert Wise devenu monteur, se fait remarquer par sa collaboration avec Orson Welles sur Citizen Kane (1940) et La Splendeur des Amberson (1942). En 1943, le voilà réalisateur ; il enchaîne des séries B, dont Le récupérateur de cadavres (1945). Ambitieux, il s’attaque ensuite à la boxe avec le remarquable Nous avons gagné ce soir (1949). Deux ans plus tard, il réalise Le Jour où la terre s’arrêta ; puis enchaîne des projets éclectiques, notamment un pamphlet contre la peine de mort : Je veux vivre ! (1958) et le fascinant cauchemar La maison du diable (1963). Mais le triomphe survient, quand il ressuscite en 1961 la comédie musicale avec une relecture de Roméo et Juliette dans le monumental West Side Story, qui obtient dix oscars, suivi de La mélodie du bonheur, récompensé en 1965 par 5 Oscars. Il s’embarque en 1966, à bord de La Canonnière du Yang-Tse «Ce long métrage reste mon film préféré, je suppose parce le plus difficile à tourner, du point de vue physique et logistique». A partir des années 70, ses productions se font plus discrètes ; on note Le mystère Andromède (1971) et Une brève rencontre à Paris (1973). Il dirige en 1979 l’équipage de l’Enterprise dans Star Trek, le film, première adaptation cinématographique de la saga. Il s’impliquera jusqu’à la fin de sa vie dans la production de ses œuvres en dvd.

Contexte :

Le 12 avril 1945, Harry S. Truman devient le 33ème président des Etats-Unis. Il accompagne la fin de la Deuxième Guerre mondiale et pérore : «Les Etats-Unis sortent du conflit comme la nation la plus puissante de l’histoire», hégémonie renforcée par la première utilisation de l’arme atomique, le 6 août 1945, à Hiroshima. Très active à l’ONU – l’Organisation des nations-unies a été créée le 24 novembre 1945 – l’Amérique est une superpuissance diplomatique qui garde le monopole de l’arme nucléaire jusqu’en 1949, année où les Soviétiques rattrapent leur retard. S’ouvre alors la Guerre Froide. Robert Wise, marqué par la crise économique de 1929, ne cesse d’ausculter les failles de son pays. En 1949, il décide de revenir au film noir, se faisant l’écho d’une société privée de repères. Aidé par le scénariste Art Cohn, ancien journaliste sportif, il adapte un poème désenchanté, The Wild party, de Joseph Moncure March, publié en 1926, qui conte le destin d’un boxeur noir libéré de prison. En mai 1949 ce film, présenté au Festival de Cannes, obtient le Prix de la Critique.

Nous_avons_gagne_ce_soir

Désir de voir :

«Une série B par le budget, mais de série A par la qualité de la mise en scène», résume lui-même le réalisateur. En réduisant les budgets, les studios RKO permettent à de jeunes réalisateurs de faire leurs preuves. Le cinéaste arrive en fin de contrat et décide de finir en beauté. Enchanté par le scénario proposé, il s’immerge corps et âme dans le milieu de la boxe, au point de humer le parfum des salles d’entraînements. «J’aime la sueur», dit-il. Il assiste à des combats et regarde autour du ring, carnet de notes et appareil photo en mains. L’artisan story-boarde toutes les scènes, s’entoure d’une équipe technique de haut vol, peaufine chaque détail de décors reconstitués avec un réalisme saisissant qu’on sent influencé par l’expressionisme allemand. Ce long métrage s’inaugure sur le plan d’une pendule indiquant 21h05, et se clôture avec les aiguilles sur 22h17, soit en temps réel et continu, narration d’une extrême rareté. Seul Alfred Hitchcock l’avait notablement inauguré avec La Corde (1948). Ici, le récit est rythmé par des rappels temporels – réveils, cloches, cadrans – ou sonores : cliquetis d’aiguilles, gongs… Le metteur en scène transcende la règle des trois unités (lieu, temps, action) ; elle engendre un découpage en relation avec l’espace pour la mise en scène, et le temps au montage. Plans longs, courts et travellings alternent ; une caméra courte focale augmente la profondeur de champs. Robert Wise s’attache surtout les services d’un boxeur professionnel, John Indrisano, pour superviser les combats. Les rounds sont retranscrits avec trois caméras, dont une à l’épaule – rare pour l’époque. Le spectateur monte alors littéralement sur le ring. Par étonnant, dès lors, que Martin Scorsese avoue avoir « pompé le meilleur film de boxe jamais réalisé », pour tourner Raging Bull, en 1980). Robert Wise s’inspire, lui, du majeur Gentleman Jim, de Raoul Walsh (1942) et de l’excellent Body and soul, signé Robert Rossen (1947) pour sa cruelle métaphore, ce rêve américain mis chaos, aidé en cela par l’interprétation intense de Robert Ryan, lui-même ancien boxeur. Sans temps morts ni musique, ce récit annonce le néo-réalisme italien et la Nouvelle Vague. Des cinéastes comme Gaspar Noé, Robert Zemeckis et Alfonso Cuaron revendiquent ce marqueur cinématographique. Sans parler de la saga des Rocky. L’hommage le plus touchant reste celui de Jean-Pierre Melville, dans L’Aîné des Ferchaux (1963), lorsque le boxeur Jean-Paul Belmondo cite «Si nous avions gagné, ce soir», soulignant l’espoir déçu d’atteindre un jour « Dreamland ».

Sébastien Boully

Nous avons gagné ce soir
Film américain réalisé par Robert Wise
Avec Robert Ryan, George Tobias, Audrey Totter
Genre : Drame / Sport
Durée : 1h12m
À voir en VOD sur La Cinetek
À voir en DVD (Éditions Montparnasse)