Certains disques entrent en vous presque malgré vous. De prime abord, rien ne nous préparait au charme ressenti à l’écoute de The Greatest Part, nouvel album de l’américaine Becca Mancari comme un hommage possible à la Twee Pop et au label Sarah Records. Rafraîchissant et bien plus inventif qu’il n’y paraît.
Décontraction solaire et esthétique limpide
Comment se fait-on avoir par un disque, un roman ou un film ? Parfois le charme est facile, parfois honteux. Souvent il se révèle difficile de comprendre ce qui maintient notre attention, nous submergés de propositions artistiques plus ou moins passionnantes. D’autant que l’heure est au recyclage de vieilles recettes, d’ailleurs ne l’a-t-il pas toujours été un peu ainsi ?
Qu’est ce qui ressemble plus à un disque Pop qu’un autre disque Pop ? La question peut paraître idiote, la réponse peut sonner comme une évidence mais encore faut-il s’être mis d’accord sur ce qu’est la Pop. Car il faut bien l’avouer c’est une école protéiforme aux mille visages. Les torch singers des années 20 et 30 n’étaient-ils pas des acteurs de la cause Pop comme The Cure Bien plus tard a pu l’être également ? Ce qui définit la Pop, ne serait-ce pas cette notion d’immédiateté et d’efficacité, de mémorisation instantanée d’une mélodie ou d’un air que l’on chantera (en le massacrant) sous la douche. L’américaine Becca Mancari connaît sur le bout des doigts son bréviaire Pop, il faudra l’ouvrir aux chapitres Twee Pop, shoegaze et Sarah Records. Ici, c’est une décontraction solaire, une esthétique limpide qui s’offre à nous.
Psychédélisme ouaté et l’énergie pop
Becca Mancari est une jeune femme futée, bien plus que ce que sa musique peut laisser penser à la première écoute. Elle y emploie quelques emprunts bienvenus, des gimmicks, des formules qui pourraient paraître éculées chez d’autres musiciens. Toutes ces références (bien digérées) ne font que la rendre paradoxalement plus personnelle, elle et uniquement elle. C’est un peu comme si Broadcast rencontrait Blue Boy, mêlant à la fois le psychédélisme ouaté et l’énergie pop.
Avec ce second disque de l’américaine, on comprend d’autant mieux l’importance de l’influence géographique tant on voit Becca Mancari ouvrir son registre à d’autres couleurs sans jamais perdre de vue de là où elle vient. Entre la Côte Est sous l’influence de la lointaine voisine européenne avec l’Angleterre au centre de la boussole et de l’autre côté Nashville et ce son éminemment américain, peut-être même Redneck. Becca Mancari pioche à l’envie dans les deux pour un résultat un peu étrange, on entend ça et là quelques motifs Country puis des parenthèses Shoegaze ou encore une Pop éthérée.
Un premier album prometteur
Aussi étrange que cela puisse paraître, il se dégage de ces mélodies aériennes et solaires un drame que l’on sent en latence tout au long de ce disque à tiroirs. Sauf que Becca Mancari a l’élégance de la pudeur, rien n’est trop appuyé ni trop chuchoté, la force essentielle de The Greatest Part étant de se refuser à une posture lacrymale ou misérabiliste. Autre force, c’est que malgré ces références, jamais les chansons de Becca Mancari ne tombent dans l’écueil certes savoureux mais possiblement piège de la Madeleine de Proust. Becca Mancari est une jeune femme de 2020, une habitante de son temps tant dans l’application de la production du disque que les thématiques abordées dans ses textes ou encore dans cette collision entre les genres, une attitude finalement propre à ces musiciens qui se sont éduqués au grand Raout de l’Internet.
Seul petit bémol qui fait de The Greatest Part un bon disque mais pas encore le chef d’oeuvre que l’on voit venir dans les recherches de Becca Mancari, et c’est peut-être ce petit manque de folie supplémentaire qui apporterait un relief supplémentaire à des compositions déjà passionnantes en l’état.
On est en droit de placer de grands espoirs pour l’avenir proche de Becca Mancari et The Greatest Part est peut-être la première (vraie) marche vers de grands grands disques. Patience donc…
Greg Bod