Les vestiaires, univers impitoyable où l’ado dans sa fragile puberté devra rouler des mécaniques pour ne pas trébucher. Un récit réaliste, à la fois sensible et cruel, qui touche au plus profond de nous, les hommes.
Les vestiaires d’un lycée, lieu clos débarrassé de la présence des adultes, où les blessures ne sont pas seulement liées au sport, et peuvent souvent se révéler morales… Ce récit nous montre un groupe d’adolescents aux prises avec la loi du plus fort, amenés à livrer leur intimité, de bon ou mauvais gré, à un âge où le corps change, entre voyeurisme, humiliations et guerre des clans… Six ans après leur première parution, Les Vestiaires sont réédités sous un nouveau titre plus explicite et une nouvelle couverture.
Révélé en 2017 avec Ces jours qui disparaissent, Timothé Le Boucher avait produit, trois ans avant, ce huis-clos mettant en scène de jeunes mâles ados dans un vestiaire. La Boîte à Bulles nous propose aujourd’hui de redécouvrir l’ouvrage sous une nouvelle présentation. Et c’est une bonne idée car celui-ci est tout à fait digne d’intérêt.
Cette histoire, qui ne montre les filles qu’à travers la grille de ventilation permettant aux garçons de se rincer l’œil depuis leurs vestiaires, fera remonter des souvenirs plus ou moins agréables à quiconque appartenant à la gent masculine. Ce lieu particulier, théâtre cruel du passage par la puberté, concentre toutes les rivalités entre ces adultes en devenir, autorisant l’« âge bête » à trouver sa pleine expression. Sans la tutelle des adultes, c’est une microsociété livrée à elle-même qui s’épanouit (on pense un peu à Sa Majesté des mouches), avec ses propres codes et ses propres classes sociales, où chacun sera jugé dans sa nudité et sa façon de l’exposer. C’est également l’endroit où la personnalité se révèle, où l’on doit faire des alliances judicieuses pour survivre, où il vaut mieux être beau gosse et populaire que « boloss » et souffre-douleur de la meute (mais la jalousie existe aussi, et parfois, il arrive qu’une star du lycée un peu arrogante descende brutalement au rang de paria). Bref, le vestiaire est une jungle où abondent bizutages en tous genres, plaisanteries et jeux stupides, d’où est exclue toute empathie, en toute inconscience, jusqu’au jour où survient le drame…
Dans un style proche de Bastien Vivès, Timothé Le Boucher, également scénariste de ses récits, se fait dessinateur des âmes. Par son trait simple et épuré, soutenu par un cadrage pertinent, il parvient à retranscrire parfaitement la psychologie de ses personnages. La narration, à l’avenant, est d’une grande fluidité tout en réussissant à conserver un certain suspense psychologique.
On ne peut donc que saluer l’initiative de la Boîte à Bulles de ressortir l’œuvre de cet auteur en passe d’accéder au cercle des bédéastes en vue, de ceux dont chaque album est toujours attendu avec fébrilité par la critique et ses fans. Dans les vestiaires est un album qui interpellera forcément l’ensemble du public masculin, faisant inévitablement écho à ses souvenirs de lycée, mais qui par son réalisme et son ton juste, ne devrait pas manquer d’attirer l’attention du « sexe opposé ».
Laurent Proudhon