Les vrais Londoniens, ceux que l’on aime pour leur indépendance d’esprit et leur créativité, ont tendance à abandonner un bateau qui prend l’eau sous les coups des réactionnaires pro-Brexit : le Nord de la France a ainsi accueilli Ralph of London, un jeune homme extraordinaire, qui vient de nous offrir un très bel album de brit pop, moderne et bricolé en dépit du bon sens. Rafraîchissant !
Souvenez-vous, oui, faites un effort : dans ce qui semble désormais une autre vie, nous adorions la « Brit Pop ». Parce qu’elle nous semblait une approche parfaitement équilibrée entre la tradition pop anglaise de bon goût – Beatles et Kinks en première ligne – et une modernité sachant intégrer les dernières tendances musicales de l’époque. Avec la virtuosité mélodique et littéraire de Pulp et les expérimentations ludiques de Damon Albarn, de Blur à Gorillaz, le Royaume-Uni continuait à nourrir notre appétit musical… Les années ont passé, et il ne reste, semble-t-il, plus rien de cette brillance.
Plus rien ? Pas sûr, car malgré les vents contraires, la créativité pop et l’expérimentation débridée survivent : les quasi inconnus Ralph of London en sont le plus bel exemple entendu ces derniers temps, et leur second album, The Potato Kingdom, reprend le flambeau abandonné – temporairement on l’espère – par Damon Albarn, avec également une très sensible influence des vignettes sociales et humanistes de Ray Davies, mais coloré d’une sorte de psychédélisme parfaitement au goût du jour. Bien sûr, le non-conformisme DIY, parfois franchement risqué, de l’album peut s’expliquer par le fait que Ralph est avant tout un… batteur (il a officié en tant que tel dans plusieurs formations), et qu’il s’est exilé de son île bien peu accueillante en ce moment : réfugié dans l’Hexagone, il est entouré ici d’une bande de musiciens du Nord de la France qui ne souffrent donc pas du syndrome du professionnalisme conformiste et arrogant de nombre de groupes anglais.
Malheureusement, la faute à pas de chance, le second album de Ralph of London est sorti juste au début du confinement, et n’a, au milieu du chaos général, pas éveillé l’intérêt que son originalité et ses qualités musicales méritaient. Avec la parution récente du single psyché-bien barré Dotty (« Tous les jours, des gens tombent amoureux d’autres qui ne les aiment pas en retour… et c’est la merde ! » y entend-on !), voilà une seconde chance de découvrir un disque aussi combatif que charmant… Entre expérimentations qui restent toujours assez listener-friendly et suaves – un peu à la manière du dernier album de Vampire Weekend, qu’évoque un peu le brillant Hopeless Melody – et chansons flottantes, gentiment dépenaillées, à l’image de la conclusion « feel good » de Warps of Life, il y en a ici pour tous les goûts.
Après un démarrage extraordinaire (Heavens Guts, en particulier, nous ramène une version actualisée, et allégée, du ska des années 80, pas si loin de ce que les Specials reformés nous offraient l’année dernière), l’album marque un peu le pas : quelques titres dispensables comme Big Void ou Sullied (qui dilue trop dans le sirop son pertinent commentaire social…) prouvent surtout que Ralph n’a pas tout-à-fait encore l’étoffe d’un Elliott Smith… Mais il se reprend vite avec un joyau mélodique comme l’acoustique et baroque Stars & Phantoms, avec un Saturns Sign qui accélère le rythme et électrifie les sentiments, avant de nous serrer le cœur sur la piste de danse, un sourire élégant aux lèvres… ou encore avec un Worlds End plus heavy, où le Blues Rock s’écaille sur la mélancolie bonhomme des rues de Valenciennes.
Ralph aurait sans doute dû se souvenir qu’un album parfait, ça se calibre plutôt aux alentours des 30 minutes : réduit à cette durée, The Potato Kingdom aurait pu figurer parmi les plus belles réussites de la pop anglaise en 2020. Comme tel, il reste toutefois l’un des disques les plus rafraîchissants de ce début d’été torride…
Eric Debarnot