Chaque nouvel album de Rodolphe Burger est un événement en soi, la perpétuation d’une recherche entamée avec Kat Onoma dans les années 80. Sur ce album souvent bouleversant, on retrouve Bertrand Belin, la fidèle Sarah Murcia ou la dernière apparition de Christophe.
Il y a toujours comme une forme d’incompatibilité entre le Rock et la langue française, une prosodie et une rythmique des mots qui s’entrechoquent avec une disharmonie. Si l’on poussait le trait encore plus loin, on pourrait dire la même chose du Rap qui se vautre souvent par chez nous dans la variété. Car le Rock est un langage de l’immédiat et de l’instantané, de l’efficacité et du produit de consommation. Bien sûr, il y eu quelques éclaireurs, Serge Gainsbourg, Léo Ferré qui sans être Rock trituraient le chant pour construire un vocabulaire nouveau. Bien sûr, il y eu Manset et Bashung, Marc Seberg et Philippe Pascal.
Un Blues qui doit autant au Velvet Underground qu’à une écriture automatique
Et puis, il y eu Rodolphe Burger qui avec Kat Onoma comme en solo trimbala sa science de l’absurde, du collage et de l’envie de nouveaux codes dans une musique inconfortable et bienfaisante. Sans aucun doute, de tous les musiciens que l’on me cite le plus en influence, le nom qui revient le plus est celui de Rodolphe Burger et de son Cheval Mouvement (1993) en particulier qui créa une nouvelle appréhension, une approche de la langue. Je pourrais vous citer par exemple le chanteur lorientais, exilé du côté de Brest, Colin Chloé (qui annonce un nouveau et splendide troisième album à paraître bientôt) qui ne s’est jamais totalement remis de cette découverte.
Car ce qui semble passionner l’Alsacien depuis le début de sa carrière, c’est de diluer une forme d’abstraction dans ses structures aériennes et imprévisibles, dans un Blues qui doit autant au Velvet Underground qu’à une écriture automatique. Au point, parfois, de paraître hermétique, Rodolphe Burger n’hésite pas à se faire expérimentateur, quitte à donner une forme de froideur distante à sa musique, à la rendre malaisante et difficile à cerner. Il ne ne cesse de brouiller les pistes.
Son album le plus libre à ce jour
De tous les albums de sa discographie, Environs est sans aucun doute le plus accessible, le plus immédiat. Car il y a aussi chez Rodolphe Burger ce que l’on peut appeler « une patte » tant dans son jeu de guitare que dans sa voix en spoken word avec un je ne sais quoi de changé dans le ton ici, peut-être une patine du temps qui s’installe doucement.
Rodolphe Burger présente lui-même cet Environs comme son album le plus libre à son jour. On le comprend assez vite tant le patron de Dernière Bande s’amuse à nous désarçonner, Environs est émaillé de 4 reprises comme autant de contradictions dans une collection de chansons très ouverte. il faut oser s’approprier sur un même disque la Soul de Sam Cooke (Lost and lookin’), le plus beau morceau des années 90 avec le sublime Fuzzy de Grant Lee Buffalo, le Krautrock de Can (Mushroom), le Reggae des Jamaicans (Ba Ba Boum) mais aussi deux lieders de Schubert. Rodolphe Burger a cette intelligence de stimuler notre intelligence et pas seulement une sensibilité putassière.
Rodolphe Burger nous désarçonne sans jamais nous perdre
Et puis ce disque révèle une évidence, il est toujours bon de prendre conscience des évidences. Cette collaboration entre Rodolphe Burger et Bertrand Belin présent sur deux titres (Les Danses Anglaises et Lenz 2) affirme très clairement une parenté entre les deux artistes, l’un comme l’autre triturant le langage et l’abstraction. Ces deux morceaux sonnent comme une rencontre au sommet entre deux dandys, deux experts du style et de l’inflexion d’une voix, ce que l’on peut appeler des interprètes. On se surprend à retrouver des traces de l’influence de Rodolphe Burger dans la discographie de l’auteur d’Hypernuit (2010). Car l’un comme l’autre appartiennent à cette école bien rare par chez nous « d’auteurs »…
Et puis il y a également cette assurance et cette curiosité présente sur chacun des titres, il faut oser emprunter le Gute Nacht de Schubert qui n’a rien demandé ou encore cet autre lieder, Leiermann asséché à sa forme la plus osseuse. Tout au long d’Environs, Rodolphe Burger se plait à nous désarçonner sans jamais nous perdre, sans jamais s’égarer lui-même.
En point final de ce disque, on y entend cette complainte intime qui revient d’album en album, La Chambre. Cette version est d’autant plus bouleversante qu’on y entend la voix de Christophe, ce chant fragile et félin, pourra-t-on se remettre d’une telle perte ?
Naviguant entre hermétisme brumeux et ligne claire, entre confusion et transparence, Rodolphe Burger signe avec Environs une fois encore une oeuvre passionnante, foisonnante et énigmatique, complexe et limpide, contradictoire et conciliante, un disque dense et ouvert qui n’est ni vraiment du Rock ni de la chanson à textes mais finalement quelque chose d’autre, du Rodolphe Burger tout simplement peut-être.
Greg Bod