Le Voyage d’Abel nous compte l’histoire d’un vieillard amer, mais encore combatif. Il a beaucoup donné, il s’est trop longtemps tu, mais il n’est jamais trop tard !
Abel ne s’est pas vu vieillir. Pourtant, sa ferme, ses vaches, son tracteur, jusqu’à ses amis ont vieilli. Abandonné par ses frères, il a repris la ferme des parents et les années ont filé. Il s’était promis de se faire marin et d’embarquer pour Conakry, Singapour ou Tahiti. Il a accumulé les guides touristiques. Ce coup ici, il est fin prêt, ce sera l’Éthiopie. C’est magnifique l’Éthiopie ! Il partira pour de bon. Ses frères se débrouilleront avec l’exploitation et il vendra, au préalable, les bêtes…
Auto-édité en 2014, ce bel album bénéficie, grâce aux éditions Bamboo, d’une sortie en librairie. Il la mérite. Isabelle Sivan, la scénariste, a bien travaillé son sujet. En peu de pages, elle pose son village, la dureté de la vie des petits agriculteurs et leur isolement croissant. Les jeunes sont partis. Ne restent qu’une boulangère asiatique, un médecin africain et des vieillards qui, depuis des décennies, se chamaillent et se moquent du « Capitaine », qui n’est toujours pas parti. Plus personne ne croie à cet appareillage.
Le dessin monochrome de Bruno Duhamel est d’un grand classicisme. L’influence d’André Franquin est assumée. Les animaux, notamment le chien, sont particulièrement réussis. Les saisons se suivent et les effets visuels varient. La terre d’Abel est belle, mais il ne sait plus la voir. Il rêve en couleurs d’Antilles et de paquebot immaculé. Il est temps de laisser partir…
L’album est un peu court. Abel est maintenant pressé. S’il prend le temps de régler quelques vieux comptes, aux parfums doux-amers, il nous laisse sur notre faim. Pourquoi a-t-il tant attendu ? Taiseux, Abel clôt sa valise. Bon voyage l’ami !
Stéphane de Boysson