Chaque année, on vous annonce une nouvelle révélation, un grand frisson. Pour cette année 2020, ne cherchez plus, elle s’appelle A.A Williams et elle vient de sortir un objet sonore absolument irrésistible. Entre la sensualité sépulcrale d’une Nico et la noirceur subtile et exquise d’un Tim Hardin, l’anglaise nous subjugue avec un premier album d’une belle maturité.
Toi, tu ne t’es jamais vraiment remis de The Boatman’s Call (1997), cette suite de complaintes noires de Nick Cave accompagné de son Warren Ellis, sans doute l’album, premier d’une main-mise du violoniste des Dirty Three sur la destinée des Bad Seeds. Ce qu’apportait le violoniste à Nick Cave, c’est cette possibilité de nuancer son désespoir et de transformer sa rage en un autre ailleurs, une formule nouvelle. Un langage sans aucun doute en partie empruntée à la déesse Nina Simone, Nick Cave n’a-t-il pas repris Plain Gold Ring ?
Tu ne t’es donc pas remis de The Boatman’s call, tu ne te remettras sans doute pas de Forever Blue, premier disque sublime de la londonienne A.A Williams. Tu ne te relèveras de cette mélancolie tortueuse et torturé car Forever Blue ressemble en bien des points à un chemin de croix, un parcours de souffrance et de doute comme cinquante nuances de noir, une traduction de ce que peut être le désespoir et la peur de vivre. Chacune des chansons qui constitue ce disque sont comme autant de révélations et de confidences à peine révélées, des mots que l’on aimerait oublier. Comme Nina Simone, A.A Williams ne simule rien, elle vit chaque instant, elle exprime une colère multiforme et une douceur inédite avec tout ce que le spectre musical peut lui apporter. Un instant, on la croirait une toute petite Beth Gibbons recroquevillée sur elle-même pour l’instant d’après voir se déployer un mur de guitares bruitistes, le fruit peut-être de sa collaboration avec les japonais de Mono. Pour preuve, l’irruption de la voix de Johannes Persson (de Cult Of Luna) sur le ténébreux Fearless. Entre d’autres mains, cette histoire aurait pu tourner à l’affaire de mauvais goût accompagné d’une iconographie vaguement gothique.
On rapprochera sans se tromper Forever Blue de Debris de l’autre révélation féminine de l’année 2020, Keely Forsyth. Moins claustrophobe que Debris, Forever Blue laisse un peu entrer la lumière et puise dans une certaine inconstance une capacité à nous surprendre à chaque instant. Ce ne serait pas mentir que de dire que ce premier album d’A.A Williams dégage un spleen absolu mais aussi une sensualité exquise. Comme Nick Cave, cité en ce début d’article, A.A Williams se refuse à tout manichéisme et a bien compris que tout douleur cache en elle une douceur et une espérance, quelque chose qui annonce le repos que l’on espère.
Et la dame d’exprimer toutes les nuances que peuvent contenir la féminité. On y entend en particulier une énergie issue du Rock voire du Metal qui lui permet en particulier d’affirmer une rage sourde.Mais là où A.A Williams transcende tous les superlatifs, c’est dans ces formules les plus simples où la voix peut prendre toute sa dimension comme ce Melt tout en tension sur le fil, jamais si éloigné des parties les plus apaisées d’Envy, le groupe japonais.
Si l’on devait définir en quelques termes la musique d’A.A Williams, on parlerait sans doute de Post-Rock mais on n’en a que faire des étiquettes face à une telle générosité musicale qui ne se dit jamais. Il y a quelque chose de caractériel et de changeant, de mouvant dans la musique de la dame. Quelque chose qui se refuse à vous, qui vous regarde du coin de l’oeil, qui vous toise un peu, qui ne cherche pas à vous plaire absolument, qui cherche peut-être même à se faire plus féroce qu’elle ne l’est réellement. On retrouve un peu de cette évanescence hantée que l’on entendait dans les disques de Hope Sandoval avec ou sans Mazzy Star sauf qu’A.A Williams ne minaude jamais, ne déploie pas de charme. Elle reste un peu à distance comme intimidée, cela ne fait que la rendre encore plus humaine.
Forever Blue est sans aucun doute l’acte de naissance créatif d’une grande artiste, de quelqu’un avec qui il faudra compter dans les années à venir. Pour l’heure, elle signe un des albums les plus bouleversants de l’année 2020, rien de moins.
Greg Bod