Encore une fois, Richard Knox tisse une structure en étoile Dark Ambient, envoûtante et déroutante, entre un Tim Hecker osseux et un Greg Haines transcendant. Sous l’alias A-Sun-Amissa, derrière lequel il se cache, Knox travaille sur Black Rain I le bruit blanc et l’acouphène pour mieux leur faire rendre grâce et en dégager une beauté indicible.
Pourquoi écoute-t-on de la musique ? Existe-t-il une seule raison ? Ne peuvent-elles pas être changeantes d’un jour à l’autre, d’un compositeur que l’on écoute à un autre ? D’un organisme à un autre ? D’une sensibilité à une autre ? D’une histoire de vie à une autre ? Car même si cela semble évident, la musique fait partie de nos vies et vient répondre comme en échos aux petits accidents qui font notre existence.
Et si dans les musiques que nous écoutions, il y avait deux familles, les musiques du dedans et celles du dehors. Les premières, trop intimes pour que l’on puisse les partager, trop précieuses pour que l’on puisse seulement les évoquer, trop profondes pour parvenir à en transmettre l’émotion sans des larmes dans les yeux. Celles du dehors fédèrent alors que celles du dedans divisent, celles du dehors sont de l’ordre du partage alors que les autre sont de ces instants de solitude.
Des musiques qui malaxent le son entre dissonance et harmonie
L’univers du détail et de la suggestion de Richard Knox devient instantanément pour celui qui l’écoute un environnement familier à la fois inconfortable et terriblement rassurant. Un lieu d’oubli, un abri peut-être.
Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler de moi dans cette chronique. Souffrant depuis quelques mois d’acouphènes persistants, vous savez ces petits sifflements irritants comme des voix chantantes. Je suis entré dans un autre rapport à la musique, cherchant à travers cette déformation légère de mon audition ces musiques qui malaxent le son entre dissonance et harmonie. Black Rain I, ce disque de A-Sun-Amissa pourrait être résumé ainsi tant il cherche un équilibre fragile entre la nuisance et l’apaisement, d’une tristesse sourde qui ne se dit jamais, il nous égare dans ses arpèges de guitare, ses murs de bruit fragiles qui ne sont pas sans rappeler les obsessions de Tim Hecker.
Par instant, émergent quelques notes de piano, les nappes de guitares finissent elles-mêmes par ressembler à des chants de femmes. Vous pourriez vous dire que Richard Knox signe ici un énième disque de Drone Ambient et vous auriez tort. Black Rain I n’est que la suite d’une recherche entamée en 2011 avec A-Sun-Amissa, un projet dans lequel Richard Knox laisse s’exprimer la partie la plus drone de son spectre musical. Accompagné sur d’autres disques de A-Sun-Amissa d’Aidan Baker (proche de Tim Hecker justement), il échafaude des structures qui doivent autant à l’épaisseur lourde et triste de Sunn O))) qu’à une contemplation tranquille des nuages dans le ciel. A la fois ancrée dans la terre et les perceptions aux aguets de la conscience, la musique de Richard Knox irrite notre curiosité mais aussi ces petites choses, ces sentiments confus que l’on garde au fond de soi.
https://www.youtube.com/watch?v=VLE00pvuU1g
Ajoutons également que le monsieur est avec Gizeh Records à la tête d’un des labels fétiches de Benzine Magazine et Possible Musics avec, parmi ces productions, nombre de disques de chevet pour la rédaction de votre webzine préféré, citons par exemple Christine Ott, Astrid, Nadja, Farewell Poetry et encore bien d’autres.
Ce disque, vous ne le partagerez pas avec vos proches
Chacun des trois titres qui constituent Black Rain I sont comme autant de longues vignettes, des mouvements généreux qui prennent leur temps pour installer la scène et une possible histoire non faite d’une narration classique mais bien plus de la suggestion d’impressions qui reproduisent bien mieux des caractères et des personnages. Si l’on devait mettre en image ce disque, on pourrait sans aucun doute y joindre des images de ce courant photographique débutant, le Pictorialisme qui hésitait encore entre le naturalisme d’une fidèle représentation de la réalité et une pulsion imaginaire avec ces photos contrastées et cendrées qui captent d’autant mieux la lumière en la laissant émerger des quatre coins de l’espace.
Ce disque, vous ne le partagerez pas avec vos proches, vous le garderez pour vous car si autrui en prenait connaissance, il en apprendrait bien trop sur vous, les petits secrets mal cachés que Black Rain I rend évidents.Car ce nouveau disque de A-Sun-Amissa est bel et bien un disque du dedans, un ami comme un miroir ou une loupe qui ne déforme rien mais qui révèle.
Black Rain I ne propose en somme qu’une seule chose, il vous invite à plonger au fond de vous (au risque de vous perdre).
Greg Bod