Si l’on hésitait encore à condamner Fauda qui nous offrait un panorama intéressant sur la situation palestinienne, les dérives de cette troisième saison font basculer la série israélienne du mauvais côté de la propagande.
Pour pouvoir regarder sereinement Fauda, série israélienne à l’excellente réputation, il fallait admettre dès le départ que, à l’image de ce qui se fait aux USA, il ne serait pas question ici de remettre en cause fondamentalement la doctrine nationale ou l’honneur de la nation : ceux qui soutiennent activement la cause palestinienne ont eu donc intérêt à s’abstenir ! Les autres se seront laissé prendre au jeu d’une fiction politique, et de scénarios de cauchemar : Lior Raz et Avi Issacharoff nous ont proposé un thriller façon 24 heures, enchaînant les scènes d’action et les retournements de situation, sans trop se poser de questions morales, mais qui fonctionnait assez bien au cours de ses deux premières saisons.
Car Fauda avait paradoxalement l’audace (la lucidité, peut-être…) de nous montrer un groupe d’infiltration et d’intervention israélien dysfonctionnel, dont aucune mission ne semblait jamais réussir, un groupe miné autant par des conflits entre ses membres que par un certain amateurisme se traduisant par une suite d’improvisations aux effets désastreux : on était loin de la représentation habituelle de services israéliens implacables et tout-puissants ! En face, la société palestinienne est figurée dans Fauda, non sans une certaine lucidité semble-t-il, comme étouffée autant par la religion que par l’étau israélien, et ne fonctionnant à peine qu’à travers les relations traditionnelles, familiales surtout, seul refuge contre la souffrance. Des deux côtés des check-points, Fauda dépeignait les mêmes arrangements avec la morale, la même corruption, les mêmes ambitions dévorantes.
Malgré tous ses défauts, Fauda nous a intrigués, passionnés même parfois, sans doute parce que, en dépit de ses gros travers idéologiques, elle nous donnait quelque chose à voir de ces territoires gangrenés par des décennies de guerre, quelque chose à saisir de la situation inextricable dans laquelle survivent les populations palestinienne et israélienne. Oui, Fauda, malgré son désagréable côté de propagande « anti-terroriste » (soit le terme appliqué depuis toujours par les conquérants à ceux qui résistent à leur conquête, ne l’oublions jamais), nous parlait mieux que les reportages d’actualité de ce brasier de haine inextinguible.
https://www.youtube.com/watch?v=JgQ_PaTPuT4
Avec cette troisième saison, voici donc venu le temps de l’excès – puisqu’il faut toujours en faire plus, apparemment, pour garder le bon public devant son téléviseur – et de la perte de crédibilité attenante. Si la crainte israélienne – bien réelle – vis à vis de l’infiltration d’agents du Hamas grâce à des tunnels est a priori un excellent sujet, et si l’introduction de la saison – ses 3 premiers épisodes – est intéressante, parce que l’on nous montre un Doron (Lior Raz, toujours aussi peu convaincant, malgré son charisme certain) tellement infiltré dans la société palestinienne qu’il y a tissé de véritables liens d’affection, la série bascule rapidement ensuite dans l’outrance, cherchant le spectaculaire et la tension à tout prix, aux dépends de la crédibilité politique : la (trop) longue séquence de l’attaque commando en plein cœur de Gaza condamne toute la saison à ressembler cette fois à un simple instrument de propagande contre le Hamas et en faveur de la supériorité militaire israélienne.
Et si la fin, en anti-climax douloureux, est indéniablement belle, il y a belle lurette que la déshumanisation du personnage a priori emblématique de Bashar (Ala Dakka, sans doute un peu vert pour un rôle pivotal qui nécessitait plus de subtilité) a désolidarisé le téléspectateur de ce qui devait être, en théorie, le parcours emblématique d’un honnête homme vers la violence et la haine. Cette tragédie individuelle, indissociable de telles situations de guerre civile, qui aurait dû constituer le grand sujet de la saison, a été reléguée en arrière-plan par des scènes d’action et de suspense trop systématiques, et surtout par le fait que Lior Raz et Avi Issacharoff ne peuvent s’empêcher de nous montrer qu’un mort israélien compte plus qu’un mort palestinien.
Il est sans doute temps que Fauda s’arrête, avant de devenir franchement détestable.
Eric Debarnot