Pour son premier album, Aurélie Wilmet n’a pas froid aux yeux et nous convie dans le grand Nord norvégien sur les traces d’antiques légendes. Une véritable invitation au voyage chamanique.
« Rorbuer » est le nom donné à des cabanes de pêche sur pilotis, un habitat traditionnel norvégien. Rorbuer nous transporte dans un monde déroutant. Fascinée par les légendes nordiques, Aurélie Wilmet mêle la vie quotidienne de pêcheurs contemporains à la résurgence de rites païens ancestraux : cérémonies funèbres et voyages chamaniques.
Avouons que la forme et le dessin sont sans concession. L’album ne propose pas de dialogues, pas d’explications, ni commentaires, ni même de numéros de page. Juste un court lexique qui nous explicite les noms des quatre têtes de chapitre : Torrfisk, Misteltein, Lysstraler et Fiskekongen. De fait, le scénario découpe le drame en quatre actes.
Même si le récit de les distingue pas clairement, nous suivons deux histoires parallèles : une sortie de pêche en mer, la noyade d’un des marins, le retour au port, l’annonce de la disparition aux proches du défunt. La vie reprend son cours, avec la réparation des filets, le travail sur les poissons et le séchage.
La mort du pêcheur, la séparation de l’âme et du corps, la transmigration de l’âme vers des poissons, la grande pêche annuelle, l’intervention du chaman, les sacrifices d’animaux, la transe, l’appel aux oracles, la libération de l’âme et son voyage vers les montagnes sacrées. Enfin, le rituel du Roi pêcheur, qui marque la fin d’une décennie, l’éternel renouvellement et la traversée finale des âmes vers la Terre de brouillard, appelée Takeland.
Si Aurélie Wilmet nous offre de beaux paysages ; la pêche de la première page, l’aurore boréale de la couverture ou la barque en feu au milieu du fjord désert ; ses personnages semblent stylisés. Ses tracés sont-ils esquissés, abstraits ou primitifs ? Probablement les trois. À vous de vous forger votre propre opinion. Quelle est la part de rêve, d’imagination ou de reportage ? L’auteur ne fournit pas de clef de lecture. Les visages sont uniformément roses, les vêtements orangés ou violets. Elle procède par aplats de couleurs au feutre, les traces sont visibles, sans dégradés ni ombrages.
Le voyage est éprouvant et une seconde lecture semble indispensable. Pour aborder un tel ouvrage, il est recommandé d’oublier ses vieilles certitudes.
Stéphane de Boysson