Erland Cooper, avec ou sans The Carnival, avec ou sans The Magnetic North est sans aucun doute un des meilleurs arrangeurs et harmonistes anglo-saxons, à rapprocher d’un Bill Ryder-Jones. Hether Blether qui vient clore sa trilogie consacrée à ses îles natales, les Orcades, confirme encore une fois tout le bien que l’on pense de lui.
Entre saisir l’air du temps et prendre son temps
Les paysages nous façonnent, c’est un lieu commun assurément mais les lieux communs, les clichés contiennent toujours une part de vérité et de pertinence absolues. Au premier regard, se reconnaîtront entre eux ceux qui vivent dans un horizon limité et cerné par les montagnes, par une contemplation verticale des choses, Au premier regard, comme des animaux qui se frôlent, les habitants des falaises, des bords de mer et des oiseaux de mer retrouvent un esprit de communauté qui n’a que faire des frontières, des différences de cultures.
Car derrière chaque regard, se terre loin au fond ces pierres et cet air vif, cette métronomie tranquille d’une vague. De tout temps, ce qui nous entoure a inspiré les artistes, de Debussy à Rod McKuen, combien de sensibilités ont raconté la brise et le noroît, les neiges éternelles au sommet des grandes cimes à la manière d’un Alan Hovhaness le temps de sa Symphonie N°2 Opus 132 Mysterious Mountain. Il y a ceux qui chargent de mysticisme et d’une spiritualité écrasante leur vision et il y a les autres, plus impressionnistes que virtuoses. Il y a les disques qui prennent l’air du temps et ceux qui prennent leur temps. Hether Blether, dernière partie d’une trilogie autour des îles Orcades de l’écossais Erland Cooper (Erland And The Carnival/The Magnetic North) entamée en 2018 avec Solan Goose et poursuivie par Sule Skeery en 2019, est un peu à la charnière de ces deux tentations.
Une quête universelle
En effet Hether Blether ne se comprend que dans la lente narration de l’ensemble de cette trilogie où une fois encore Erland Cooper nous invite à divaguer avec lui au milieu de ces paysages accidentés, mais sa musique ne peut se limiter à une simple illustration. Il pose un regard tendre sur les habitants de ces îles-là avec une belle empathie. Jouant avec les registres du néo-classique et de la Pop, Hether Blether est sans aucun doute un disque idéal de déconfinement.
Toutefois, Erland Cooper se refuse à toute forme d’évanescence ou toute couleur locale forcée dans ces formules parfois élégiaques, parfois saisies par une dimension bien plus électronique. A l’image de l’américain Brian Harnetty sur le sublime Shawnee, Ohio (2019), chacun des disques de l’Écossais semble être un prétexte pour poser un regard d’ethno-musicologue sur une communauté humaine, sur des individus isolés et regroupés autour d’un même but. Hether Blether vient clore une trilogie qui n’en est peut-être pas vraiment une. En effet déjà dans Orkney: Symphony of the Magnetic North (2012), Cooper accompagnée de la divine Hannah Peel (dont je vous conseille expressément de découvrir la discographie solo) et de Simon Tong (Ex The Verve), il rendait un hommage vibrant aux Orcades, les îles de son enfance. On n’hésitera pas à franchir la barrière et à parler ici d’une obsession pour les espaces maritimes, pour les oiseaux de mer. Même la pochette du disque annonce les choses, cette ruine au milieu d’une lande et entouré d’un ciel bleu et nuageux. Il faudra aller chercher derrière les apparences, derrière l’image du présent la subtile apparition d’une population depuis longtemps disparue. Pour autant, Erland Cooper ne tombe jamais dans une posture passéiste, dans un dialogue un peu vain du genre « C’était mieux avant« . Non, ce qu’il dit ici, c’est une recherche de soi à travers le passé, une quête finalement universelle que l’on soit au fin fond de l’Ecosse ou que l’on soit dans une île du Japon.
https://www.youtube.com/watch?v=iB4uqD1IOiw
Un imaginaire inédit
L’idée chez Erland Cooper est bien de donner la parole aux habitants de ces îles, à prendre littéralement car une des autres constantes que l’on retrouve tout au long de cette trilogie, mais aussi de Orkney: Symphony of the Magnetic North, ce sont ces voix libérées, souvent rocailleuses et marquées par cet accent d’Ecosse. Moins cohérent et plus imprévisible que les deux premières parties de la trilogie, Hether Blether joue avec la rupture et décline tous les talents d’arrangeur de Cooper, ici s’appuyant sur des cordes, là se dissipant dans des drones entre Post-Rock et électronique… Quitte à paraître pompeux ou pédant, ne peut-on pas dire qu’il y a chez lui une dimension transcendantaliste à la façon d’un Emerson ou d’un Thoreau qui explorent, poétisent le proche, le simple et le commun ? Comme pour ses illustres aînés américains, un paysage est bien plus qu’un paysage chez Cooper, il est l’expression de vies perdues, présentes et anciennes. Et de mêler des senteurs d’Ecosse à des croassements d’oiseaux marins, et de superposer des lieux à d’autres lieux pour créer un imaginaire absolument inédit.
Pour apprécier comme il se doit ce dernier chapitre, sans doute faudra-t-il revenir sur sa lecture et aller puiser d’autres errances dans Solan Goose et Sule Skerry. On se rendra compte alors de cette humeur faite de cohérence, de vent soufflant, de comète invisible dans le ciel, de nuages gris, on y trouvera aussi un monde infini en miniature, l’écume d’une vague éternelle.
Greg Bod