Comme quoi, on peut pousser un concept jusque dans son plus petit retranchement en oubliant d’être hermétique ou abscons. Après un premier volume en octobre 2019, le pianiste américain Brian Harnetty continue de travailler la matière mémorielle et sensuelle sur ce Many Hands Volume II tout en nuances minimales.
La notion même de concept vous intimide ou vous effraie en musique ? Vous n’y entendez rien à ces théoriciens du son qui semblent plus expérimenter que seulement jouer ? Pour vous, tout cela n’est qu’une vague question d’égo, de prétention, tout cela n’est peut-être qu’une simple suite de bruits plus ou moins harmonieux (le plus souvent, moins…) ? Avec une belle part d’humilité tout à fait louable, vous reconnaissez que votre oreille n’est peut-être pas éduquée, que vous n’avez pas forcément les références pour ce compositeur dodécaphoniste, pour celui-là plus dans l’école minimale ou encore ce virtuose du Free Jazz… Vous n’entendez rien aux travaux de l’école acousmatique, une simple phrase de Boulez vous laisse perplexe, alors écouter ses travaux… imaginez-donc !
Pourtant depuis toujours, il existe des artistes passerelles, ces musiciens qui créent des ponts entre musique savante et musique profane, entre musique contemporaine et Pop. De Moondog à Eden Abhez, des œuvres les plus abordables de Philip Glass à celles du Penguin Café Orchestra de Simon Jeffes, combien d’entre eux, en plus d’être de grands créateurs, se sont avérés être également de grands ouvreurs d’horizons, des pédagogues pourrait-on même dire, des vulgarisateurs peut-être aussi.
Si l’on devait qualifier la musique du multi-instrumentiste américain Brian Harnetty, il serait bien difficile de la ranger dans une seule et même case : on pourrait parler de Folk de Chambre, de piano solo pastoral, de pérégrinations dignes d’un Walden autour de notes de musique. Comme sur le premier Volume évoqué ici, Brian Harnetty poursuit une exploration du piano minimal comme s’il cherchait à travers d’infinis minuscules détails à ranimer de vieux souvenirs. Comme sur le Volume I, l’humeur est à la contemplation et à la dérive ; toutefois, on y entendra parfois un peu de malice, parfois plus de lâcher-prise aussi. Brian Harnetty, jusque dans son jeu de piano semble dessiner une thématique, celle du toucher soignant, du prendre soin, de l’attention à l’autre. Aucune surprise donc à apprendre que ce disque a été composé et enregistré dans l’abri forcé du confinement lié au Covid 19. D’ailleurs, Brian Harnetty, lui-même, pose son intention de départ.
Autant Many Hands Volume I se voulait l’illustration des paysages de l’Ohio, autant avec Many Hands Volume II souhaite-t-il revenir vers la seule dimension humaine, le prendre soin du travailleur social mais aussi de la mère avec son enfant ou encore de l’infirmière avec un malade.
Sur le premier volume, jamais Brian Harnetty ne tombait âs dans la redite ni dans les références mal digérées. Le totem Aaron Copland et son Appalachian Suite auraient pu faire de l’ombre à sa volonté d’illustrer ces paysages-là, mais il basculait de gauche et de droite dans des hésitations délicieuses qui ne le rendaient que plus imprévisible. Sur Many Hands Volume II, c’est à l’ensemble des nuances du toucher qu’il fait référence. Comment du paume de la main peut-on exprimer une telle variété de sentiments différents et parfois contraires, alors qu’il s’agit toujours de la même main ? D’où peut-être ce titre comme une proclamation d’intention, Many Hands…
En résulte un disque magnifique, parfois empathique, d’autres fois ombrageux, ici en suspension, là vif et altier. Un disque passerelle, un disque fugue, un disque fuite.
Greg Bod
Brian Harnetty – Many Hands Volume II
Sortie le 16 avril 2020
Label : Winesap Records