Woods, depuis ses débuts, fait partie de ces groupes un peu intermédiaires. Sortant régulièrement des disques attachants mais où l’exaltation n’est jamais complètement là, la honte non plus. Strange To Explain, premier album après leur participation à la production des chansons de David Berman sous l’alias de Purple Mountains reste encore une fois dans ce même cas de figure, brillant sans être indispensable.
On peut bien avoir participé à ce que l’on appellera un chef-d’oeuvre les années venant – certains le disent déjà – et pour autant sortir des chansons jamais honteuses mais largement convenues et sans grand surprise. Le souci de ce type de projet c’est que les chansons semblent glisser dans notre oreille sans jamais vraiment s’y attarder. Des morceaux auxquels on reviendra peut-être occasionnellement pour remplir le silence comme on laisse un poste de télévision allumé pour combler la solitude. Depuis une quinzaine d’années, les new-yorkais de Woods produisent des albums agréables mais souvent un peu oubliables. Il est à craindre que les années passant, on ne retienne du travail de Jeremy Earl et des siens que leur participation au sublime et unique album de Purple Moutains, le dernier avatar de David Berman avant sa disparition brutale.
Car qu’on se le dise, Woods fait une musique volatile qui glisse sur notre attention, qui n’irrite jamais totalement notre attention. On a souvent entendu les chansons qui forment Strange To Explain dans les autres disques de Woods, parfois en mieux. Pour plus mettre à distance le chagrin et la douleur liés à la mort (par suicide) de David Berman, Jeremy Earl donne des tournures solaires à ses chansons. Le problème qui phagocyte un peu le disque se situe sans doute dans une production un peu tape à l’œil qui s’écoute briller, une production qui n’évite pas non plus les effets un peu faciles avec un psychédélisme un peu réduit. Le problème c’est que depuis d’autres ont pris le même chemin, apportant avec eux d’autres visions. On pensera à Andy Shauf ou à Kevin Morby (lui-même libéré de Woods).
Woods signe encore une fois une série de chansons de seconde division pas vraiment ingrates, on en retiendra sans aucun doute le titre qui donne son nom à l’album. Strange To Explain semble tendre le regard vers la côte ouest américaine, la Californie en particulier. Le groupe de Jeremy Earl sonne comme une réponse états-unienne aux britanniques de The Coral, comme eux, leur folk ou leur pop flirte avec le mouvement Flower Pop, on pensera parfois à Arthur Lee et Love de Forever Changes (1967). Cette ouverture à plus de lumière et d’orchestration les rapprocherait de Calexico et de Giant Sand.
Mais le problème principal que l’on ressent à l’écoute des onze chansons de Strange To Explain se situe dans cette incapacité à vraiment retenir quoique ce soit, on aurait envie de leur conseiller la découverte des albums de Daniel Tashian avec The Silver Seas ou encore ceux de Josh Rouse qui jouent avec les angles et les références, qui malaxent le son pour en extraire une substance classique mais enivrante. Woods n’est pas sans faire penser à la destinée de Midlake qui, amputé de son leader Tim Smith, a aussi perdu au passage son identité sur un Antiphon (2013) pour le moins décevant dont ils ne se sont pas vraiment relevés.
Regrettable constat, me direz-vous et vous n’aurez pas tort. Assurément, quand on voit la beauté absolue qui irrigue les chansons de Purple Mountains auxquelles Woods a fait bien plus que d’adopter sa qualité d’instrumentistes. Sur Be There Still, unique vrai moment de grâce de Strange To Explain rend hommage à leur ami David Berman et on comprend bien vite que les compositions en mid-tempo conviennent mieux à la voix haute de Jeremy Earl qui lui permettent d’évacuer plus facilement une émotion à l’os. Regrettable constat également que de ne pas avoir réellement de point d’ancrage dans un disque à l’inspiration un peu vaporeuse. Pourtant, tout y est, les arrangements précieux, les ruptures mais rien ne fonctionne totalement.
Strange To Explain vient donc prolonger la série de disques de Woods en n’apportant rien de bien nouveau à l’ensemble. Woods ne démérite pas mais ne transforme rien véritablement non plus. Une certaine idée de l’immobilisme peut-être perpétuée en loi.
Greg Bod