C’était clairement une fausse bonne idée que de faire un remake fidèle du remarqué – mais pas exceptionnel – la Isla Minima, en le transposant en Allemagne : le résultat est lourd et sans grâce, cumulant la faiblesse du scénario original avec le manque de subtilité du portrait de la société est-allemande…
Même si la Isla Minima avait connu un beau succès critique en Espagne, nous l’avions reçu à l’époque avec un brin de scepticisme : sur le terrain dangereusement miné du chef d’oeuvre qu’est Memories of Murder, on nous offrait un thriller peu inspiré, dissimulé derrière l’élégance maniériste de sa mise en scène, et qui valait surtout pour l’honnêteté du regard jeté sur l’héritage franquiste, dont l’Espagne peine toujours à se sortir. L’idée de Christian Alvart d’en faire un remake extrêmement fidèle, en transposant le contexte politique de l’original à l’ex-RDA sombrant dans la misère et la désillusion, en 1992, suite à la réunification des deux Allemagnes, ne pouvait donc que nous laisser dubitatifs…
… Et force est d’admettre que le résultat final est exactement ce à quoi on pouvait s’attendre, ce que l’on pouvait craindre : les mêmes plans aériens à la Arthus-Bertrand, la même musique planante et sinistre, le même duo de flics antagonistes, et surtout la même enquête policière toujours moyennement convaincante… malgré une bonne demi-heure rajoutée à l’histoire, qui rend Lands of Murders passablement long. Et lourd… L’esthétique très convenue, quasi post-apocalyptique d’une Europe de l’Est dévastée par le communisme (a priori, le film aurait été filmé en Ukraine !), et l’accumulation, assez peu fine, de clichés sur le comportement local – excès d’alcool, machisme, brutalité générale, surtout envers les femmes, haine du capitalisme chez les plus âgés et fascination chez les plus jeunes – rendent le film extrêmement prévisible.
On embarque d’abord avec une certaine bonne volonté aux côtés d’un policier ouest-allemand intègre et à la brillante réputation – mais extrêmement mauvais conducteur, au point que cela en devienne ridicule ! – dans ce périple à travers un pays pas encore libéré de ses vieilles tares (corruption, défiance généralisée) et déjà contaminé par de nouveaux vices (trafic de drogues et individualisme) liés à la perte de tous les repères. On sourit – pire, on ricane un peu – devant cette déliquescence générale – personnalisée avant tout par le personnage du policier ex-Stasi, au comportement excessif parfois burlesque – que et le scénario et la mise en scène soulignent de plus en plus, sans arriver pour autant à une véritable profondeur métaphysique. Et puis, sans doute inévitablement, on s’embarque dans le jeu improductif de la comparaison avec la Isla Minima, espérant vainement que Lands of Murders prennent une autre direction, nous surprenne enfin. Et, peu à peu, l’intérêt s’épuise devant un « polar » finalement bien conventionnel…
…Jusqu’à une conclusion, aussi évidente que faiblarde : on est bien loin du vertige existentiel du chef d’oeuvre de Bong Joon-ho, mais on se dit qu’Alvart, prisonnier de ses certitudes quant au « Mal » que représentait le régime policier est-allemand, n’atteint même pas la pertinence du commentaire politique de la Isla Minima, ce qui est un comble.
Eric Debarnot