Faut-il écouter le énième album peu convaincant des Pretenders en 2020 ? Oui, car Chrissie Hynde y chante encore mieux que d’habitude, et nous pourrions même tomber amoureux à nouveaux d’elle !
Nous avons tant aimé les Pretenders, groupe de deux albums seulement, le premier, éternel étendard de la « new wave » anglaise, et le second, plus oubliable mais encore fier. Le groupe fut laminé par la drogue, qui tua deux de ses quatre brillants membres, et il y a peut-être une sorte de morale dans cette histoire, bien que nous ne sachions guère dire laquelle.
Nous avons tant aimé Chrissie Hynde, l’américaine audacieuse, sexy – bien sûr -, l’égérie Rock par excellence avec son cuir noir, ses mitaines de dentelles, ses deux mariages avec Ray Davies (oui !) et avec Jim Kerr (non !!). Chrissie, éternel rêve humide des adolescents que nous fûmes un jour et sommes sans doute restés. Chrissie, chanteuse impeccable, qui poursuivit une carrière solo chaotique sous le nom de son groupe, avec quelques rares sommets (Learning to Crawl, le meilleur album de tous) et de nombreuses déceptions (la quasi-totalité du reste de sa discographie…). Mais Chrissie reste l’une des meilleures sur scène : elle a le look, sur lequel les années cruelles n’ont pas prise, l’attitude (pas toujours aimable vis-à-vis de son public, auquel elle ne pardonne rien !), et cette classe rock’n’roll folle qui n’appartient qu’à elle.
Ecouter un nouvel album des Pretenders en 2020 est un défi : oui, Chrissie est appuyée ici par Martin Chambers, très impressionnant batteur original du groupe, qui l’accompagne régulièrement sur scène ; et elle a ses seconds moments du moment, dont le guitariste frimeur James Walbourne, qui déroule un style aussi flamboyant que légèrement ringard. Oui, Stephen Street est à la production, et son travail tient toujours la route. Oui, il ne dure que 30 minutes, ce qui est une vraie bénédiction de nos jours. Oui, il commence superbement par un… faux départ, qui éveille instantanément notre attention… Mais il faut bien reconnaître que cette musique, qualifiée par ceux qui l’aiment d’éternelle, est surtout terriblement datée. La première écoute de Hate for Sale est, comme toujours avec un disque signé « Pretenders », très décevante : le style initial du groupe a presque disparu (The Buzz et Didn’t Want to Be This Lonely tentent encore le coup, et peuvent faire illusion…), la majorité des compositions est anodine (Junkie Walk frôle même la vulgarité…), et le mélange de genres – rock seventies, slow sentimental, reggae blanchi – ne joue franchement pas en faveur de l’album.
Mais voilà, nous avons tant aimé Chrissie Hynde : on réécoute le disque, une fois, une autre, plusieurs fois… Et on tombe à nouveau sous le charme de cette voix magique, qui s’est, admettons-le, encore améliorée avec le temps. Chrissie Hynde chante formidablement bien, et suivant l’expression consacrée, répétons qu’elle « pourrait chanter le bottin » que nous l’écouterions et l’aimerions encore. Finalement, Hate for Sale risque bien de se positionner dans le peloton de tête des albums des Pretenders, et ce n’est certainement pas pour ses Rocks peu inspirés, mais pour ses tempos moyens ou même ses titres plus lents, sur lesquels la voix de Chrissie fait systématiquement des merveilles : You Can’t Hurt a Fool, Maybe Love is in NYC ou Crying in Public nous feraient presque (re)tomber amoureux d’elle…
Hate for Sale n’a aucune grande chanson à rajouter au palmarès de Chrissie Hynde, mais il est rempli de très beau chant. Et ça nous ira bien pour cette fois.
Eric Debarnot