[Ciné Classique] Un chien andalou : l’ingéniosité formelle de Luis Buñuel

Coup de projecteur en trois axes sur Un chien andalou, surréaliste court-métrage expérimental qui a enrichit l’histoire du septième art de manière tranchante.

un chien andalou
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Biographie :

Né avec le XXe siècle un 22 février 1900, à Calanda (Espagne), Luis Buñuel décède à Mexico, le 29 juillet 1983. Ses études chez les Jésuites forge en lui une détestation farouche de la classe moyenne et de la religion catholique. «Dieu merci, je suis athée», répétait-il. A 17 ans, libre penseur réfractaire aux ordres établis, il rejoint Madrid pour étudier la philosophie à l’université, fréquente le poète Federico Garcia Lorca et l’exubérant artiste Salvador Dali, tout en apportant son soutien au mouvement dadaïste, qui rejette les contraintes idéologiques, politiques et esthétiques. En 1925, il écrit à Paris une adaptation théâtrale d’Hamlet de William Shakespeare, mais se découvre une passion pour le cinéma devant Les Trois Lumières (1921), de Fritz Lang, ainsi qu’il l’écrit dans son autobiographie, Mon dernier soupir (1982). Il suit des cours de comédiens à l’Académie du cinéma crée par Jean Epstein, dont il est l’assistant sur Mauprat (1926), et La Chute de la maison Usher (1928). Aidé financièrement par sa mère, il tourne cette année-là avec son ami Salvador Dali, un court-métrage intitulé Un chien andalou. Suit un long-métrage là aussi surréaliste : L’âge d’or. Le Grand noceur interrompt une disette cinématographique née de la Guerre d’Espagne (1936-1939). Ses brouilles – notamment avec Dali – le contraignent à s’exiler au Mexique avec son épouse, Jeanne Rucar. Los Olvidados remet le cinéaste au premier plan, suivi de Tourments (1953), et La vie criminelle d’Archibald de la Cruz (1955). Il retrouve l’Espagne en 1961 pour tourner Viridiana (Palme d’Or à Cannes), période féconde qui voit s’enchaîner L’Ange exterminateur (1962), Le journal d’une femme de chambre (1964), Belle de jour (1967) (Lion d’Or à Venise), La Voie lactée (1969), Tristana (1970), Le Charme discret de la bourgeoisie (1974), avant de clore brillamment son œuvre par Cet obscur objet du désir, en 1977. Le théoricien du cinéma, Jean Collet, écrit : «Buñuel est le peintre des contrastes violents, de l’ombre et de la lumière, de la nuit et du jour, du rêve et de lucidité». L’influence de cet artiste andalou est colossale ne serait-ce que pour l’infinie richesse de ses interprétations thématiques.

Contexte :

La première Guerre Mondiale éteinte naît en 1916 le mouvement Dada. Puis émerge en 1924 le Surréalisme, sous la plume d’André Breton, «dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale». Pour fêter Noël 1928, Salvador Dali invite Luis Buñuel à séjourner chez lui. Les deux artistes, fascinés par les surréalistes, finissent par se racontent leurs rêves respectifs. « Et si nous faisions un film en partant de ça ?» propose le peintre. Un chien andalou vient d’éclore. Le scénario prend forme en une semaine selon les procédés de l’écriture automatique – sans conscience, ni volonté – et du cadavre exquis : addition de mots, verbe, adjectif sans avoir pris connaissance de ce qui précède. Cette collaboration en parfaite symbiose débouche sur un tournage de quinze jours. «Les acteurs ne savaient absolument pas ce qu’ils faisaient», reconnaîtra Luis Buñuel. Le 6 juin 1929, la première projection publique est organisée au Studio des Ursulines, à Paris. Accueil enthousiaste mais succès déplaisant pour les deux artistes, qui préfèrent le scandale aux applaudissements. Ils le feront savoir par une lettre de protestation publiée dans la revue Mirador, le 29 juin 1929.

Désir de voir :

« Au lieu d’expliquer les images, on ferait mieux de les accepter comme elles sont ». Cette formule de l’auteur reste le meilleur conseil pour qui veut aborder « Un chien andalou ». D’une esthétique hors normes, cette oeuvre séminale du cinéma expérimental s’inscrit dans le mouvement surréaliste, « mais sans l’étiquette », avoue Luis Buñuel. « Un Chien andalou » représente l’inconscient et fait se succéder des images cauchemardesques issues de rêveries, sans construire de sens commun. En seize minutes, noir et blanc, totalement muettes et accompagnées de Tristan et Isolde de Richard Wagner et d’un air de tango argentin, restent gravées dans la mémoire du cinéma des scènes qui plongent le spectateur dans l’effroi. Volonté de choquer, de nous pousser à voir autrement, et de nous amener à sortir ce qu’il y à l’intérieur de nous ? Fait pour déranger, ce court-métrage regorge d’ingéniosité formelle et d’éléments inédits pour l’époque, qui trouvent leur source dans l’univers de Dali dont les obsessions – fourmis sortant d’une main trouée, ânes putréfiés sur un piano, visions érotiques, boîte de Pandore – alimentent le récit. Structure narrative et plans structurés explosent l’espace (passage direct d’une chambre à une clairière…) et le temps (cartons didascaliques erronés) de délires iconoclastes. Par le biais de motifs et d’objets récurrents, la cohérence du film surgit autour d’un couple. « Un film miroir, universel, qui nous renvoie à nos propres démons et fantasmes », analyse le brillant critique, Philippe Rouyer. Réfutant les interprétations symboliques et psychanalytiques, Luis Buñuel, provocateur, affirme : «Il s’agit seulement d’un appel au meurtre». Depuis, nombres d’exégèses se confrontent, convoquant Eros et Thanatos, Freud et Lacan, pour faire dire à André Breton : «Ce qui compte n’est pas ce qu’il a voulu dire mais ce qu’il a dit». Labyrinthe des sens, ce pamphlet fantastique préserve sa puissance évocatrice en faveur de la liberté artistique. Il influencera abondamment l’art du vidéo-clip, tout en versant chez Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick, Charlie Kaufman et David Lynch, une essence artistique féconde à l’âme.

Sébastien Boully

UN CHIEN ANDALOU

Film franco-espagnol réalisé par Luis Buñuel
Genre : Drame / Expérimental
Durée : 16 minutes
À voir en VOD sur : Univers Ciné / FILMO TV / Mytf1 Vod