Un second album nettement supérieur à leur premier jet ? C’est la divine surprise que nous offrent Fontaines D.C., nous prouvant pour le coup qu’ils sont bien plus qu’une hype passagère.
Nous nous étions sentis très seuls devant l’enthousiasme général qui avait accueilli Dogrel, le premier disque des jeunes « gens de Dublin » de Fontaines D.C., alors que nous n’avions pas été convaincus ni par les citations post-punks vraiment lourdes de l’album, ni par la posture emblématique vis-à-vis de leur origine irlandaise de Grian Chatten et sa bande. Nous attendions donc la parution de ce second album avec encore plus d’impatience que les fans du groupe, intrigués que nous étions par le chemin que prendrai ce groupe sur lequel reposent tant d’espoirs.
Le titre de l’album, a Hero’s Death, et sa pochette, représentant la statue de Cú Chulainn, demi-dieu de la mythologie irlandaise, laissent craindre que les bonnes intentions annoncées d’aller « voir ailleurs » ce qui s’y passe, de quitter de Dublin et de ne pas se confiner à l’irlandicité, à la fierté d’être irlandais, ne soient que de vains mots. Mais une première écoute de l’album nous rassure immédiatement : Fontaines D.C. a bel et bien accompli un pas de côté par rapport aux traditions post punk et indie rock britanniques qui influençaient largement leur musique. Les fameuses références aux Beach Boys – annoncées et passant pour une simple préoccupation – font du sens (à condition qu’on pense plutôt aux Beach Boys de la maturité, loin du soleil californien, du surf et des filles !) si l’on considère que l’album se compose de plusieurs ballades mélodiques, parfois très posées, dénotant une maturité bien éloignée de l’humeur juvénile de Dogrel.
Car, et c’est sans doute, ce qui s’avère le plus séduisant, ou plutôt envoûtant, Fontaines D.C. se dépouille dès ce second album des oripeaux du lourd héritage du rock de la fin des années 70 et du début des années 80, et met sa musique totalement au service des textes et de la voix d’un Grian Chatten, qui cite désormais des modèles bien plus « classiques » de Leonard Cohen (Love Is the Main Thing) ou Lee Hazelwood. Cela n’empêche heureusement pas les guitares de tonner çà et là, mais dans des tonalités plus atmosphériques que belliqueuses. Mais cela permet aussi de remarquer que le chant de Grian a pris de l’ampleur, de la profondeur, et même s’il ne sera sans doute jamais un grand chanteur, il devient de plus en plus intéressant.
Bien entendu, les amoureux transis du premier album pourront se sentir, eux, frustrés devant cette sagesse, cette mesure nouvelles. Rassurons-les : même s’ils sont moins propres à être repris en chœur, même s’ils comportent moins de phrases que l’on se répétera en boucle, les morceaux acides à la The Fall continuent à fleurir à l’occasion (A Lucid Dream). Et le single A Hero’s Death, avec la répétition obstinée de la phrase « Life ain’t always empty », histoire de bien s’en convaincre, est une déclaration d’intention qui vaut bien celles de Dogrel. I Was not Born a la méchanceté obsessionnelle d’un titre de Suicide, et la brutalité potentielle de Living In America pourra bien faire naître d’autres pogos homériques lorsque ce genre de plaisir sera de nouveau autorisé !
Ce sont néanmoins clairement les chansons lentes, sensibles, presque pop, comme You Said ou encore le magnifique Oh Such a Spring, sommet incontestable du disque, qui retiennent le plus l’attention. Et ce d’autant que derrière leur fragile beauté, l’on ressent toujours cette tension menaçante, ce potentiel à enfler, à s’envoler, voire à se transformer en ouragan.
Oui, A Hero’s Death est un très bel album, celui que l’on espérait d’un groupe trop vite survendu, trop aveuglément célébré à son apparition, et qui prouve maintenant qu’il a du coffre, de la matière.
Eric Debarnot