Le duo américain Arms And Sleepers continue de brouiller les pistes avec Memory Loops, un album instrumental de toute beauté qui s’égare aussi bien dans le néo-classique que dans l’ambient, prouvant encore une fois qu’avec Max Lewis et Mirza Ramic, il faut toujours s’attendre à découvrir une nouvelle merveille, ici habitée par une douceur et un minimalisme exquis.
En 2019, Mirza Ramic, moitié d’Arms And Sleepers, prenait la tangente avec son projet entamé en 2006 où, avec Max Lewis, il conjuguait Trip-Hop, expérimentations et Pop au sein d’un raout à la fois racé et élégant. Avec Saigon Would Be Seoul, l’américain d’origine yougoslave faisait un voyage dans sa mémoire à la recherche d’un père disparu dans le conflit des années 90.
Arms And Sleepers déploie des comptines abîmées et surannées…
Mirza Ramic se rappelait dans ce disque de son instrument fétiche, le piano, ce premier média qui lui permit d’exprimer sa sensibilité et de mettre à distance ses traumas. En bien des points, Memory Loops vient se nourrir aux mêmes sources, à ce même désir à vouloir ranimer la mémoire pour mieux diminuer la blessure et la douleur. Jamais dénué de douceur, Memory Loops n’en est pas pour autant un disque béat ni un acte d’imbécile heureux. Comme Brian et son frère Roger Eno un peu plus tôt cette année, le temps de Mixing Colours, Arms And Sleepers déploie des comptines abîmées et surannées, comme Brian Eno, les deux jouent avec les limites et le kitsch, comme sur Mixing Colours, on jurerait entendre un Satie apprivoisé par la matière électronique. Il faudra mettre en avant la qualité des arrangements entendus ici, la force d’un piano à la fois limpide et cristallin.
Ce qui semble au centre du travail de Mirza Ramic mais aussi de ce duo qu’il forme avec Max Lewis au sein d’Arms And Sleepers, c’est ce rapport évident, cette obsession, serait-on en droit de dire de réappropriation d’une mémoire, un disque chez Arms And Sleepers n’a pour but que de ranimer un monde et des souvenirs. Les 14 titres qui forment Memory Loops se suffisent à eux-mêmes, se délestant d’une volonté à vouloir se nommer. Chacune de ces particules n’est que l’expression d’une impression, d’un mouvement de la mémoire.
Faiseurs de formes plus que simples musiciens…
On pourra trouver quelques accointances possibles entre les pérégrinations musicales des deux américains avec les variations d’un William Basinski ou d’un David Wenngren (Library Tapes). Tout au long de Memory Loops, nous reviendra aux oreilles quelques résonances avec cet Ep de 2017 de Library Tapes, le superbe Komorebi auquel Memory Loops semble se référer sans doute de manière absolument inconsciente. Sans doute que cette proximité est à comprendre dans une démarche introspective et impressionniste commune. Faiseurs de formes plus que simples musiciens, Arms And Sleepers manipulent les ombres et les lumières, en trahissent les moindres recoins.
Memory Loops est le troisième assemblage d’un grand ensemble en six parties à paraître cette année 2020 après Safe Area Earth, Eastern Promises et Leviathan enregistré durant la période de confinement lié au COVID. Il faut comprendre ce projet comme une lente construction constituée d’une narration parfois évasive, d’autre fois plus frontale. Comme l’un et l’autre l’expliquent en interview, ce chapitre évoqué dans Memory Loops mais aussi dans le reste de la série entamé par Arms And Sleepers a pour thématique l’auto-destruction, comme si pour mieux vivre, il fallait détruire tout ce qui nous constitue, tout ce qui forge l’ancienne identité. Un peu comme un lézard qui muerait, comme une seconde peau qui ne cacherait plus rien.
Une seconde peau comme une nouvelle identité à construire et reconstruire, un cycle qui ne cesserait de se répéter, un jour sans fin ni crépuscule…
Greg Bod